(…) L’espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
(Charles Baudelaire, extrait de spleen)
Comme prévisible, le petit et sémillant prince de la « modernisation capitaliste heureuse » a été élu président de la République avec plus de 20 millions (44% des inscrits) contre près de 11 millions (22% des inscrits) pour Le Pen. Toutefois en présence de près de 26%, d’abstentions – un record pour des présidentielles – et autour de 9% de votes blancs et nuls, un autre record absolu, soit 16 millions de voix au total. Autre problème pour le président, une partie de ceux qui ont voté Macron l’ont fait contre Marine Le Pen. Et dans un sondage récent 61% des Français ne souhaitent pas lui donner une majorité. Le soir du son élection, Macron, tel Bonaparte en Égypte, a remercié ses électeurs devant la pyramide du Louvre. Faut-il lui rappeler comment s’est terminée la campagne d’Égypte ?
Macron c’est « l’homme nouveau » - pragmatique, c’est-à-dire sans principes - d’une vieille stratégie politique initiée par Giscard d’Estaing puis tentée par Ségolène Royal lors de son approche de Bayrou en 2007 - : l’alliance au centre. En marche, « fait bouger les lignes » en aspirant la droite du Ps et les centristes de la droite vers un « centre Républicain » libéral sur le plan économique (tiens, tiens mais cela ne nous rappelle-t-il pas Hollande ?). La nomination du premier ministre Edouard Philippe (qui après avoir été au Ps tendance Rocard, est devenu député pour « Les Républicains, LR » et porte-parole d’Alain Juppé lors de la primaire à droite. Quel homme de conviction !) est limpide.
Macron est bien, à lui tout seul, une sorte de coalition nationale avec son « je suis de droite et de gauche » - une coalition à l’allemande et les Allemands ne s’y sont pas trompés, car ils se sont assez rapidement prononcés en sa faveur, comme Tony Blair et Obama par ailleurs. Et Merkel, qui est bien partie pour un quatrième mandat (ah ! ces Allemands), va pouvoir continuer à gérer les finances et la politique « sociale » de la France.
Néanmoins, la France n’a jamais été vraiment dirigée au centre, et cela va être être ardu, entre un centre droit européiste et atlantiste, et une France qui a montré lors du premier tour de la présidentielle qu’elle était divisée en 4 blocs antagoniques, soit en pourcentage des Inscrits : la coalition En Marche de Macron (18,19%), la droite conservatrice des LR (Les Républicains de Fillon) (15,16%), la France Insoumise de JL Mélenchon (14,84%), et le Front National (16,14%). 4 blocs aux forces quasi équivalentes, plus un bloc d’abstention de 24% ! L’extrême gauche ne recueillant que 1,3% des inscrits (NPA et LO, soit un peu plus de 620000 voix). Et plus de la majorité des candidats à l’élection étaient pour rompre ou mettre en parenthèse les liens avec l’Union européenne.
Dans ces conditions, sur quelle majorité parlementaire pourra-t-il compter ? Rien n’est moins sûr, sauf sur le terrain de la destruction des acquis sociaux, car là, il pourrait trouver un soutien chez les LR. Il faut attendre les élections législatives pour constater comment l’électorat va à nouveau se répartir et soyons certains que chacun va s’employer à rassembler ses troupes à droite comme à gauche. Surtout la droite conservatrice qui n’accepte pas de se voir souffler la victoire, une fois de plus, avec le naufrage Fillon.
Le projet de « renouvellement » de la vie politique française, de Macron, sera-t-il un renouvellement qualitatif ?
En investissant plus de 52% de ses candidats pour les législatives (avec une parité absolue), qui viennent de la vie « civile » sans expérience politique, alors qu’il leur faudra trancher sur des questions majeures ? Qui sont socialement issus des couches moyennes déjà majoritaires à l’Assemblée nationale : patrons de sociétés, Pme, de start-up, avocats, médecins, cadres fonctionnaires ? L’autre pendant de cette « nouvelle majorité présidentielle » étant composé par ceux et celles qui ont quitté le Ps, les LR, et « l’ami Bayrou » du Modem (chrétien démocrate européiste) qui sort renforcé. Une majorité présidentielle de bric et de broc, qui renvoie au passé, celle des : « godillots » du Général de Gaulle, fidélité absolue, dévouement, mais par-dessus tout sans aucune aspérité. Il ne modifiera pas les institutions de la Vème République, au contraire, il va s’en servir (ordonnances, etc.).
Son gouvernement est à l’image de son « et de et de ». L’équipe nouvellement nommée se compose et d’ex Ps, c’ex LR, de centristes, et de « société civile » (médecin, éditrice, scientifique, dirigeants grandes entreprises etc.) : ceux qui l’ont soutenu dès la première heure :
- Collomb, Ps, maire de Lyon - à l’Intérieur (l’un de ces « barons » du Ps avides de pouvoir – et qui se défiaient de Paris pour gérer leurs affaires comme ils l’entendaient - a toujours comploté contre le centre de Ségolène Royal ou l’aile gauche du Ps),
- Le Drian, Ps ex-ministre de la Défense (ministre Europe et Affaires étrangères ?),
- Bayrou centriste (justice) et sa fidèle d’entre les fidèles : Marielle de Sarnez, (auprès de Le Drian),
- Richard Ferrand ex Ps (ministre du territoire),
- Bruno Le Maire, LR (économie), qui n’a recueilli que 2% à la primaire de la droite en dépit d’un programme de 1000 monde pages !
Et quelques « belles » prises : Sylvie Goulard, (eurodéputé spécialiste de l’Europe, qui a assisté Romano Prodi et estime que « l’Allemagne est un partenaire idéal » - nommée Ministre des Armées ?)), Nicolas Hulot à l’écologie (pour son action dans la réussite de Cap 21 ?).
On sait ce qu’il advient généralement de ceux qui « viennent de la société civile ». Assez rapidement ils sont dégagés ou démissionnent, et ce dans tous les gouvernements précédents. Ce gouvernement, se caractérise en fait par une concentration forte du pouvoir entre les mains du président et de son équipe proche. Combien de temps tiendra-t-il face aux défis de la société française et d’un monde relativement dangereux ?
En face, la menace Le Pen a été parée. Pourtant, elle double le nombre de voix atteint par son père lors des élections en 2002 et gagne près de 4 millions de voix supplémentaires entre le premier et le deuxième tour. Elle a même réussi à casser l’isolement du Fn en passant un accord (contre nature) et bien que temporaire avec la droite « gaulliste » de Dupont d’Aignan (3,56% des inscrits au premier tour, près de 3 fois le score du NPA et LO réunis). Elle a annoncé qu’elle allait transformer le Front National. Pour devenir « propre » il lui faudrait abandonner non seulement sa politique xénophobe mais surtout tuer le père et ses réseaux fourmillants de nazillons, de nostalgiques de la Vichy collaborationniste, d’intégristes fondamentalistes du Christ Roi, de regrets d’une Algérie Française, de la Révolution Nationale, d’officines obscures antirépublicaines, etc., bref quelque chose qui semble impossible. Mais le courant Front National est maintenant bien implanté en France, et pour de nombreuses années car la succession est là avec la nièce Marion Le Pen – même si elle s’est mise en retrait temporaire– qui est peut-être plus dangereuse encore que la tante.
Reste alors le vrai problème celui d’un l’émiettement continu de la « gauche » : gauche de gouvernement et gauche de la gauche, en vertu d’un certain sectarisme et du rejet d’une pensée offensive revivifiée par un programme pour un socialisme autogestionnaire, de la commune à l’Etat en passant par la gestion des entreprises par les salariés.
La « gauche de gouvernement, le Ps »
En arrivant au pouvoir, Hollande a mis fin aux petits engagements entre amis, c’est-à-dire au « rassemblement » avec la gauche plurielle. Il lui a concédé quelques revendications sociétales (qu’il ne s’agit pas là de remettre en cause). Puis, il a osé la « réforme » (rejoignant en cela le concert des sociaux libéraux européens, Schroeder, Blair, Renzi, Zapatero, Papandreou, etc.) en prenant le contrepied exact de son discours du Bourget de 2012 : « mon ennemi c’est la finance », pour lequel il avait été élu. Il a engagé une politique de soumission à la position allemande quant au déficit budgétaire à 3%, l’austérité, la gestion de la « crise » grecque. Et pour « inverser la courbe du chômage », il a répondu rapidement aux demandes du patronat qui ne cesse de réclamer la « baisse des charges contre la création d’1 million d’emplois », c’est-à-dire se dégager de tout paiement de la protection sociale.
Ces « charges » sont un salaire différé qui finance la protection sociale. Si elles sont supprimées il faudra bien recourir à d’autres formes pour assurer la redistribution. L’augmentation de la fiscalité sur les entreprises étant inimaginable pour un social libéral, que reste-t-il ? La CSG (qui touche en principe tous les revenus des particuliers et peut-être pas ceux qui pourront utiliser les « niches fiscales ») ? la TVA (qui obère avant tout la consommation des moins riches) ? (Et pourquoi pas une taxation sociale sur le travail et l’enrichissement fournis par les robots, une proposition bien antérieure à celle de Hamon et déjà discutée au cours de mai 68 sera nécessaire lorsque l’on sait le nombre d’emplois détruits et ceux qui vont être détruits par la numérisation du travail).
Ou alors s’en sera fini de la solidarité et de la redistribution sociale « à la française » créée à la sortie de la deuxième guerre mondiale par le conseil national de la résistance.
À la fin du quinquennat, l’échec de cette politique est patent : une hausse du chômage de plus 600 000 chômeurs pour un versement de 43 milliards au patronat : « les affaires reprennent, hors du Marché, no futur !».
Puis, fort de son « succès » et convaincu de sa réussite, F. Hollande a soutenu sans état d’âme la loi Macron-Valls-El Khomri qui brise en miettes le code du travail et renforce la précarité (il a suivi en cela l’Italie du Job Act, la Grande Bretagne et l’Allemagne les « boulots » obligatoires à 1 euro ou même gratuits, sinon perte de l’indemnité chômage, etc.). Cela lui a coûté son exclusion de la vie politique et l’impossibilité de se représenter en 2017.
Autre résultat et non des moindre, un parti historique exsangue, un Ps à 4,82% des inscrits (au premier tour), écartelé par les conflits entre Valls, Hollande, Aubry, Hamon, les frondeurs, et dont une partie des militants a voté, qui pour Macron, qui pour JL Mélenchon. Valls a tout fait pour faire chuter Hamon, le candidat désigné par la primaire du Ps, dont la campagne axée sur le « revenu universel » n’a pas été comprise et son adhésion à l’Europe rejetée. Ensuite, Hollande sommé par Valls de ne pas se représenter n’a cessé de montrer sa préférence pour Macron !
Comment le Ps pourra-t-il résister à ce naufrage sans une refonte intégrale de son projet : socialiste, socialdémocrate ou social libéral ? La direction du PS, va-t-elle se reconstruire en une nouvelle « Fédération des groupes socialistes » comme celle créée par Mitterrand dans les années 1960 pour la conquête du pouvoir et qu’il a tenu artificiellement tant qu’il était aux commandes ? Quelle probabilité pour l’appareil de résister à une dislocation totale ? Déjà Hidalgo, Martine Aubry avec près de 200 « acteurs » de la vie politique et sociale annoncent « Dès demain », un nouveau rassemblement « humaniste » (sic) tandis que Hamon prépare « un rassemblement de la gauche ». Combien d’autres sont en gestation ? L’implosion du Ps semble bien programmée.
La « gauche de la gauche »
La « gauche plurielle » qui, depuis près de 40 ans, radote toujours les thèmes de Mai 68 (ce Mai, marqué par un rejet viscéral des organisations du mouvement ouvrier), a perdu son peu d’ancrage dans le monde du travail, et fini par lier son destin au rassemblement dans ou avec le Front de gauche. Un regroupement de différentes petites forces constituées elle-même de micro-rassemblements autour d’individualités « charismatiques » ou l’on retrouve les différentes tendances du Pcf (rénovateurs, réformateurs) qui pour l’alliance avec le PS ou qui avec les Verts, etc. Le Parti de gauche, (issu lui-même en partie d’une fraction du Ps qui a suivi JL Mélenchon lors de sa sortie et de groupes comme Mars autour de E. Coquerel venant de l’extrême gauche). Ensemble, (encore fait de « différentes sensibilités » autour de Clémentine Autain, et des courants du Npa, des Verts, et enfin des syndicalistes.
Cette gauche, adepte des revendications sociétales (qu’il n’est pas question ici de remettre en cause), a été sans emprise réelle sur les changements profonds qui ont touché la France (évolution du capitalisme vers le capitalisme financier, mondialisation de la finance, mise en concurrence des salariés, dumping social, ubérisation du travail, fermetures d’entreprise, etc.), qui appelaient à construire une force d’affrontement robuste, et un nouveau logiciel, c’est-à-dire un programme résolument socialiste et anticapitaliste.
Cette gauche a soutenu la campagne de Mélenchon qui s’est empressé de la siphonner tout en l’écartant de son mouvement « la France insoumise », et de toute alliance pour les législatives, la condition sine qua non étant d’accepter son programme sans modifications aucunes !
La France Insoumise ?
Il faut rendre à Mélenchon ce qui revient à César : en s’adressant au « peuple », c’est-à-dire tout autant au « peuple de gauche » qu’au « « peuple de droite », il a pu grignoter un petit nombre de voix qui allaient se porter sur la candidate du Front National. Mais, en procédant ainsi, il brouille le champ politique et se retrouve à la quatrième place, ce dont il ne décolère pas.
Son « populisme de gauche » revendiqué, dénature la question du combat de classe. Il nie les classes les remplaçant par « ceux d’en haut » et « ceux d’en bas », et ses « followers » (ses fans sur Facebook et You tube, nullement obligés d’adhérer en payant une cotisation, marque d’adhésion essentielle à un projet politique) ont volontiers adopté l’indigent « dehors, dégage, qu’ils s’en aillent tous » !
Sa critique des institutions (comme l’avait fait Mitterrand avec « la Vème, un coup d’Etat permanent » qui s’est coulé ensuite dans les Institutions créées par de Gaulle et soutenues par le Ps jusqu’à Valls avec son 49/3), ses plans A et B par rapport à l’Europe, ne sont en rien une rupture avec le capitalisme. Tout simplement un énième projet de réformes plus ou moins réalisables - pour ne pas désespérer son électorat.
Il a cristallisé un socle de résistance avec lequel il faudra compter pour lutter contre les mesures Macron. Mais il n’a rien fait (comme Hamon) pour la création d’un front uni et une candidature-programme représentant la « gauche » dans son ensemble. On a pourtant rêvé d’une alliance (France insoumise, Hamon, Npa et LO) qui pouvait amener une dynamique incroyable au premier tour et la porter au deuxième tour contre Macron.
JL Mélenchon, a joué de son charisme - non de jeune premier comme Macron - mais de « grognard de la République », pour construire un mouvement autour de sa personne (tout comme Macron, et d’autres) en s’appuyant sur un groupe de jeunes experts et de vieux loups de la politique qui ne répondent qu’à lui seul ; un mouvement qui a pris le caractère d’un clan exclusif resserré autour d’un chef ombrageux, même s’il s’en est défendu à Marseille « les gens (sic), ne m’applaudissez pas ».
Il s’inspire, en fait, en grande partie de Beppe Grillo et du « mouvement citoyen des 5 étoiles », lui empruntant le « qu’ils dégagent tous » et l’utilisation d’internet et des réseaux comme moyen de débat « horizontal » contre « la casta », c’est à dire la classe politique. On ne peut pas dire que l’Italie s’en porte mieux. Il a même usé du gadget couteux, des hologrammes qui démultiplièrent son image, un comble comme culte de la personnalité.
Il dit aussi vouloir rendre « le pouvoir au peuple ». Mais de Chavez aux frères Castro en passant par D. Trump, tous le disent, sans jamais le lui rendre.
Des « initiatives citoyennes » et « populaires » fleurissent un peu partout, y compris en Europe, à l’image de ce qui se passe en Amérique latine (sans de vrais résultats politiques démocratiques convaincants comme dans l’Amérique « bolivarienne ») pour redéfinir « la démocratie » (et non le socialisme) du XXIème siècle. Le mouvement le plus avancé, en Europe, a été celui des places d’Espagne qui s’est structuré par la suite autour de Podemos mais qui n’a pas été capable récemment de s’entendre avec le Psoe sur un programme de gestion du pouvoir a laissé le champ politique à la droite. C’est là la limite de ces « initiatives » et du « populisme de gauche ». Ils favorisent aussi – sous une image de démocratisation de la vie politique : le retour en force de la figure du Chef autour duquel viennent s’agréger des intérêts personnels qui finissent par être « supérieurs » aux intérêts collectifs, ce qui n’a rien de très nouveau, ni de très démocratique.
Ces mouvements citoyens ou populistes ne peuvent bouleverser le rapport fondamental entre les classes s’ils ne font que le contourner sans rompre clairement avec le Capitalisme. Le pouvoir ne se donne pas par les élections, il se prend au cours d’un processus révolutionnaire critique qui porte au cœur l’autogestion socialiste.
Pour l’Unité sur un programme socialiste et autogestionnaire
Centre-droit « d’En marche » + droite conservatrice + extrême droite du FN + droite « Gaulliste » de Dupont d’Aignan : la France est toujours très largement dominée par la Droite. Les différentes composantes éclatées de la Gauche devraient assumer qu’elles ont l’obligation et le pouvoir de taire leurs divergences. La lutte de classes n’a jamais été aussi violente. La guerre sociale est tout aussi meurtrière en termes de destruction de vies, tout en étant moins visible que celle des « guerres militaires périphériques ». Leur responsabilité est énorme. En refusant de porter le débat sur la nécessité de la lutte de classe contre le capitalisme, et sans politique de front uni, l’hypothèse d’une recomposition organisée autour d’une gauche critique et anti capitaliste, dans la société, les entreprises, les syndicats, etc. s’effondre.
16 mai 2017