L’évènement le plus important du moment, autre que la pandémie du Covid-19, est sans aucun doute l’élection américaine de Novembre 2020 et ce qu’elle a généré.
Dans ce Western électoral, c’est Biden, le gentil, qui a gagné d’une courte tête contre Trump, le méchant. L’Europe et le monde (sauf ceux qui sont dans la mire de Washington, et ils sont nombreux) poussent un cri de soulagement : ah ! les affaires vont reprendre comme avant.
Bien sûr, des différences existent entre les deux prétendants, mais pas tant que cela. D’abord, l’un comme l’autre, (et ceux d’avant), sont de purs produits d’un système libéral impérialiste qui veut diriger le monde « occidental » depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Ensuite, ils se retrouvent sur la qualité de la puissance américaine : qu’elle soit toujours active pour réguler le monde, malgré certains lourds avatars, et le demeure.
Certes, sur le plan social national quelques nuances semblent les opposer. Biden, en bon chrétien, constate la fracture et veut « réconcilier les deux Amériques » avec un programme centriste pour « réparer les inégalités » qui se sont renforcées depuis plus de 30 ans en raison de nombreux facteurs :
- la désindustrialisation, la délocalisation des emplois en Asie, la précarisation, la baisse des revenus, l’appauvrissement de la population (comme la perte de logements avec l’escroquerie des subprimes, ou la bulle financière crée par les crédits étudiants), l’absence d’un réel système de sécurité sociale pour tous, et le coût faramineux d’une pléthore de guerres « pour la liberté » avec un substrat d’anti communisme primaire rance.
Dans le même temps l’augmentation de la richesse des ultra-riches a atteint des sommets sans pareils et pas seulement aux Etats Unis. En France, aussi, les plus riches ont vu leur richesse augmenter plus de 340% en 10 ans !
D’autre part les démocrates avaient depuis bien longtemps affiché leur mépris envers ces « petits blancs » racistes, idiots, et autres qualificatifs de même nature utilisés par Hillary Clinton en pleine campagne électorale. Les mots de trop qui lui ont coûté son élection.
Trump a joué l’empathie, le « je vous aime », le gars qui boit une bière avec vous, en autocrate convaincu de sa puissante intelligence à faire du bisness et des deals. Quand on sait ses échecs, le montant de ses dettes, et le peu de résultats de ses coups de cœur à l’international, on pouvait en douter. Il s’est surtout engagé, dès son élection, dans l’annulation des mesures de la politique d’Obama.
Un « homme du peuple » avec quelques milliards dans ses poches néanmoins percées.
Telles sont les raisons qui ont porté Trump au pouvoir alors qu’il déclarait sa haine de l’Establishment - dont il est, même si sa fortune est mal vue parce qu’elle provient de ses opérations dans le secteur de la Construction, et que l’on sait combien ce secteur est susceptible de malversations diverses -. Il voulait aussi pratiquer une politique de redressement autocentrée sur le pays lui-même, de relance des emplois à coup de baisse d’impôts, de reprise de l’extraction minière, et du renvoi des immigrés latinos, tout en quittant les institutions internationales comme l’OMS etc. Une promesse électorale partiellement mise en acte.
Et sur la fin de son mandat, après avoir dénié la pandémie, il a doté les laboratoires pharmaceutiques américains et autres de quelques milliards de dollars pour produire rapidement des vaccins. Au contraire de l’UE qui a voulu mégoter sur le prix des vaccins et qui n’a pas su investir dans la recherche pour soigner sa population (y compris la France cette « grande nation de la vaccination depuis Pasteur »),et a pris 3 bons mois de retard sur l’évolution de l’épidémie et doit courir çà et là après les vaccins. (A quoi sert-elle, cette UE-là ? mais c’est un autre sujet).
Biden aura-t-il la capacité de réaliser le programme social-écologiste qu’il promet et de rétablir la puissance américaine « over the sea » ? Sur ce dernier point, c’est ce que souhaite ses supplétifs européens et autres qui préfèrent, en majorité, se coucher sous le pavillon américain, et laisser « l’empire » gérer les affaires du monde.
Or, il ne faut pas oublier que Biden a été pendant 36 ans le représentant au congrès de l’Etat du Delaware, un état connu pour être un « paradis fiscal » au sein même des Etats Unis, en raison de ses lois et de ses faibles taxes favorables aux entreprises. Environ 50 % des entreprises américaines cotées à la bourse de New York ont leur siège au Delaware, fournissant près du cinquième du revenu de l'État. Ce qui classerait Biden plutôt dans la case : social libéral.
D’autre part, ce vieil apparatchik a montré en son temps, sur le plan international, une réelle prédisposition à soutenir les aventures guerrières de l’ordre néolibéral.
Ainsi, il s’est engagé fermement au Congrès pour l’intervention américaine dans les Balkans dans les années 1990, l’invasion de l’Afghanistan en 2001, celle de l’Irak en 2003 et la division de le diviser en trois États ethno religieux distincts. Il a été un partisan très fidèle de la politique israélienne. Et en tant que vice-président de Barack Obama, il a soutenu l’engagement militaire accru en Afghanistan, un coup d’État au Honduras [en 2009] et l’intervention en Syrie et en Libye. Le personnage perd de sa bienveillance.
Voilà qui devrait donner à réfléchir et laisser deviner derrière le sourire une main armée.
Trump voulait en finir avec les guerres, et sans tenir compte des avis de son entourage de conseillers faire des deals, comme tout homme d’affaires, y compris avec les très méchants de la Corée du Nord. Mais sa capacité ne s’est pas révélée à la hauteur des besoins de sa charge et elle s’est souvent réduite à des blablas confus et contradictoires d’un bluffeur de poker menteur qui cherche des « coups ».
Biden, à son entrée à la Maison Blanche, s’est tout de suite engagé à promulguer des décrets annulant les dispositions de Trump, comme c’est devenu la mode un peu partout.
La haine de Biden et des démocrates contre Trump est au-delà de celle qu’avait Trump pour l’Establishment démocrate. Les démocrates veulent faire disparaître la personne de Trump du paysage politique et même économique, en déposant contre lui la procédure de destitution, par deux fois ! La première a fait pschitt, la deuxième a pris le même chemin car elle ne recueille pas la majorité nécessaire des 2/3 du congrès. (*)
N’est-ce pas là la preuve d’une faiblesse démocratique chez les démocrates, de même nature que celle dont ils accusent Trump ? A ce jeu-là, les deux parties ont délibérément pourri le climat politique aux yeux d’une population dont les conditions de vie n’ont cessé de se détériorer.
En effet à la décharge de Trump, il faut dire que les démocrates n’ont jamais admis leur échec électoral de 2016. Surtout H. Clinton, sa concurrente. Et tout a été bon pour conspirer contre le Président haï. Avec une Hillary Clinton, candidate battue par Trump et une Nancy Pelosi, présidente de la chambre (troisième fortune du congrès en 2006 avec 16 millions de dollars), les démocrates se sont livrés à une virulente chasse à l’homme pendant les 4 années du mandat de Trump. Pinaillant sur tout et rien. Parmi leurs actions les plus remarquables : l’affaire de l’immixtion ou non des Russes dans la campagne présidentielle, et le coup de téléphone en Ukraine au président Zelensky, sur une affaire concernant le fils de Biden.
Cependant la plupart de leurs manœuvres ont échoué jusqu’à l’élection de 2020 et surtout l’émeute du Capitole du 6 janvier 2021 qui permet enfin aux démocrates d’achever leur ennemi, en l’accusant d’avoir conduit une insurrection contre les Institutions. Il faut dire que Trump aveuglé par son ressentiment pour ses mauvais résultats électoraux a dénoncé, sans preuves, l’élection de Biden comme étant un « vol » à son encontre.
C’est devenu immédiatement le leitmotiv des rassemblements des partisans de Trump appelés à se mobiliser dans tout le pays, qui s’appuie sur le sentiment, assez répandu chez les Américains, d’une méfiance contre « l’Etat Fédéral ».
Cette haine est telle qu’elle prend le visage d’une bêtise dangereuse. Une conversation sur twitter entre H. Clinton et Pelosi a été rapportée par la presse, Clinton demandant à Pelosi :
« J’aimerais voir ses relevés téléphoniques pour vérifier s’il parlait à Poutine le jour où les insurgés ont envahi notre Capitole » … « Nous savons maintenant que - pas seulement lui, mais aussi ses facilitateurs, ses complices, ses membres de la secte - ont le même mépris pour la démocratie. » (Joe Lauria, consortium news, janvier 2021)
Hélas pour les Américains, Biden aura beau faire. Que les ménages souffrent du fardeau de la dette importante, que les infrastructures s’effondrent, que les inégalités sociales soient plus criantes que jamais : la première année de son mandat va certainement se dérouler sous les auspices de la guerre revancharde des démocrates contre Trump.
Reste la question importante, comment Biden peut-il réellement « réunir les deux Amériques » si les divisions sociales et raciales sont aussi exacerbées ?
Certes, il y a eu une partie de l’extrême droite qui a soutenu Trump, très minoritaire. Mais il a recueilli plusieurs millions de voix au-delà des voix déjà fidèles au Républicains, ces voix qui sont méprisées, « populistes », mais qui montrent clairement que la fracture est réelle et s’est même renforcée dans la société mettant fin d’une certaine manière au « rêve américain ».
Cette population qui a trouvé en Trump un leader, celui qui allait remettre le pays en ordre, relocaliser les emplois, rétablir un haut niveau d’emploi, même si ce ne sont que de petits jobs et qu’il en faut deux ou trois pour survivre, qui va dénoncer les mensonges de l’Establishment et rendre à la nation sa fierté, même si les intentions réelles de Trump étaient aussi de consolider ses affaires.
Cette population va être trompée une deuxième fois. On peut parier que Biden ne réussira pas à colmater la brèche sociale qui va s’élargir un peu plus avec la pandémie. Ces Américains vont se retrouver sans débouché politique. Et sans issue politique, leur colère ne peut que s’amplifier.
Le cœur du capitalisme a été ébranlé, désavoué par une partie non négligeable de la population américaine. La gauche américaine de Sanders aux BLM (Black Lives Matter) sera-t-elle capable de s’allier pour répondre à cette crise de la représentativité et à la nécessaire transformation sociale ? Car ce ne sera pas Biden.
* Les démocrates vont avoir à faire avec un sérieux problème. Le verdict en destitution vient d’être rendu : 50 démocrates auxquels se sont ralliés 7 républicains n’ont pu, faute d’une majorité au 2/3, déclarer Trump coupable d’insurrection contre le Capitole, mais « il reste responsable » ! Cette « crise » de la démocratie /américaine est inédite. L’acharnement des démocrates contre Trump et le peuple qu’il représente va se retourner contre eux-mêmes. Ils viennent de démontrer leur méconnaissance profonde du pays, et leur impuissance face à un homme qui va pouvoir jouer de son pouvoir sur la société américaine et se renforcer, ou tout au moins résister.
Février 2021