« Comme je l’ai dit dans mon discours inaugural, nous allons réparer nos alliances et nous engager à nouveau avec le monde, non pas pour relever les défis d’hier, mais ceux d’aujourd’hui et de demain. Les dirigeants américains doivent faire face à ce nouveau moment de progression de l’autoritarisme, y compris les ambitions croissantes de la Chine de rivaliser avec les États-Unis et la détermination de la Russie à endommager et à perturber notre démocratie. (Le président Biden, Maison Blanche, salle de Briefing, 4 février 2021)
Ce n’est ni Macron, ni Merkel ou celle ou celui qui lui succédera, ni Ursula von der Leyen qui sont les « maîtres des horloges » du monde de « l’Ouest », mais bien Biden après Trump (hors sa curieuse politique de « deal » avec la Corée du Nord), après Obama, etc. Démocrates /Républicains se succèdent, frères ennemis toujours alliés sous la même bannière. « America Bak » ou « America First », c’est toujours la loi Américaine qu’il s’agit d’imposer au reste du monde, une loi qui présente un caractère quasi divin (« In god we trust » est-il écrit dans leur constitution), une loi à laquelle aucun Etat, peuple ou contrée hors de l’Amérique du Nord ne peut déroger sans risquer des violentes représailles : rétorsions commerciales, financières ou affrontements militaires. Certains pays cumulent le tout : la Corée du Nord, l’Iran, la Russie et maintenant la Chine.
Pourtant les Américains ont perdu toutes leurs guerres du Vietnam à l’Afghanistan, et provoqué le chaos dans ces régions du monde (Sans parler des coups d’Etats sanglants avec l’aide de la CIA ou autres « agences »). Ils ont poursuivi avec les désastres commis en Orient inscrits dans la doctrine décrite par Zbigniew Brzeziński : « Le Grand Échiquier 1997 ». Celle d’un « remodelage du Moyen orient » puis du « changement de régime » c’est-à-dire briser par la guerre les dirigeants hostiles aux « valeurs » américaines, tout en récupérant leur pétrole.
N’ont-ils tiré aucune leçon de leurs échecs ?
Aujourd’hui, la « paix » - sous-entendu les intérêts de l’Amérique - serait « menacée » par l’expansion rapide de la Chine. Elle devrait dépasser les États-Unis en termes de taille économique d’ici 2028, selon uneétude récente au Royaume-Uni. L’axe de guerre tourne donc son groin vers le Pacifique. Inéluctablement, le complexe militaro-industriel de la puissance américaine préfère la guerre à la diplomatie. Mais cette fois ci, face à la Chine, ce sera autrement plus difficile avec son milliard 300 millions d’habitants. Mao n’aurait-t-il pas prononcé un jour à peu près ceci « même si une bombe atomique est lancée sur la Chine et qu’elle touche disons 100 millions de Chinois, nous pourrons survivre ».
« Aukus », un renversement des alliances ?
Une nouvelle alliance militaire entre l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis a été annoncée par la presse à mi-Septembre, bouleversant la donne en matière d’alliance « occidentale ». Elle représente un fort danger d’escalade vers une guerre (froide ?) dans le Pacifique.
L’annonce de Biden, de la livraison de sous-marins à propulsion nucléaire aux Australiens par les Américains associés aux Anglais, c’est-à-dire un transfert de cette technologie, transfert jusque-là interdit par les Américains eux-mêmes, est une décision terrible contre le traité de non-prolifération nucléaire. Le fait du « prince ».
« Une telle décision est un renversement fondamental de politique pour les États-Unis, qui n’ont dans le passé ménagé aucun effort pour contrecarrer le transfert de la technologie des réacteurs navals par d’autres pays, à l’exception de leur partenaire de la Seconde Guerre mondiale, le Royaume-Uni. Même la France – dont le « contrat du siècle » pour vendre 12 sous-marins conventionnels à l’Australie a été dénoncé par le Premier ministre Morrison lors de l’annonce de l’AUKUS – s’était vu refuser à plusieurs reprises la technologie des réacteurs navals américains pendant la guerre froide. Si elle n’est pas annulée d’une manière ou d’une autre, la décision AUKUS pourrait avoir des implications majeures pour le régime de non-prolifération. » (Selon Sébastien Philippe du bulletin of the Atomic Scientists- Septembre 2021)
Aukus, arrive - comme par hasard - au moment même où l’Union européenne a lancé une nouvelle stratégie dans l’Indo/Pacifique, un projet appelé « Global Gateway » par lequel les Vingt-sept veulent signer des accords internationaux, allant bien au-delà du commerce, dans les domaines industriel, numérique, de la connectivité et, aussi dans la « sécurité maritime ».
Les Français ont réagi vivement à l’annonce américaine. En effet, la France dispose encore, pour l’instant, de vieux restes coloniaux, de territoires dans le pacifique. Avec Aukus, cela pourrait dire que ses territoires vont passer de fait sous contrôle Anglo/australo-américain.
Aukus est un instrument qui évince non seulement la France, mais aussi l’Europe de toute forme de commerce avec cette région du monde. La France ne pouvait se taire et l’accepter.
Les Européens face à l’Otan et au mépris de leur « allié », les Etats Unis.
Les Français ont compris depuis Obama, que les USA ne sont plus les « alliés » privilégiés de l’Europe. Et ils mesurent les dangers qui courent sur la planète. Ils voudraient développer leur autonomie en matière de défense par rapport au commandement américain de l’Otan, et proposent d’étendre leur « bouclier atomique » à l’Europe, sans succès pour l’instant.
Les Allemands qui ont « été » reconstruits, rééduqués après la deuxième guerre mondiale par les Américains aux joies de la « démocratie » des marchés libres, restent des alliés indéfectibles. L’Allemagne est avant tout atlantiste. Le restera-t-elle ? C’est un problème auquel elle n’a jamais réfléchi. Il y a peu encore, au moindre froncement de sourcil de ses homologues américains, Merkel – sans état d’âme - cédait à la volonté de rétorsion des USA (par exemple sur les taxes imposées sur ses voitures exportées aux Usa).
Cependant sous l’insistance des Français, les Allemands commencent à percevoir que l’organisation du monde change et qu’il leur faudra prendre des risques auxquels ils ne sont pas encore préparés. La question est alors de savoir s’ils sont prêts à accepter le « bouclier atomique français » ? C’est peu sûr pour l’instant. Car le problème pour l’Allemagne c’est bien le « bouclier nucléaire français ». Pourra-t-elle tolérer que les Français en restent les maîtres ? De même, les Français accepteront-ils de partager la propriété du « bouclier » avec l’Allemagne ? Qui aura en dernier ressort le droit d’appuyer sur le bouton ? Question difficile qui reste ouverte.
Et puis il y a les Anglais (puissance nucléaire) qui travaillaient souvent avec les Français en matière d’interventions militaires internationales, comme supplétifs Américains (Libye, Syrie, Afghanistan, etc..), et qui sont donc au courant des affaires du monde. Avec le Brexit, ils viennent de changer de braquet avec Johnson et sa politique du « global Britain ».
En effet La Grande Bretagne – sans l’Europe - veut s’offrir un « new Commonwealth », un retour au « British empire », retrouver sa puissance en renouant des liens forts avec les nations qui lui ont été autrefois soumises par la force et qui sont devenues, par la langue, le « monde anglo-saxon ». Ils s’offrent « le grand large ».
Churchill l’avait déjà dit à De Gaulle, « De Gaulle, dites-vous bien que quand j’aurai à choisir entre vous et Roosevelt, je préférerai toujours Roosevelt ! Quand nous aurons à choisir entre les Français et les Américains, nous préférerons toujours les Américains ! Quand nous aurons à choisir entre le continent et le grand large, nous choisirons toujours le grand large ! ». (De Gaulle, à Alain Peyrefitte en 1964, in les Mémoires).
Quant à l’Europe des 27, elle est traversée par différents clivages, entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest. Mais tous sont affiliés à l’Otan d’une manière plus ou moins étroite, surtout les pays de l’ex glacis soviétique qui ont d’abord adhéré à l’Otan avant que de s’inscrire dans la communauté européenne. Et qui ont même comme les Polonais utilisé les dotations européennes pour acheter du matériel militaire aux Usa ! Pour ces pays-là, la menace c’est la Russie, et le bouclier : les Etats Unis.
Pourquoi l’Europe – dans ces conditions - trouverait-elle un modus vivendi ou quelque chose de tangible en matière d’autonomie en défense, alors que chacun pense d’abord à ses propres intérêts ?
Toutefois, on a pu percevoir ces derniers jours chez Ursula von der Leyen, après l’ « Affaire des sous-marins Australiens », un léger frémissement. Lors de son discours sur l’état de l’Union européenne en Septembre, la présidente de la Commission, Ursula Von Leyen, a annoncé un « sommet de la défense européen » auquel participera le président Emmanuel Macron pendant la présidence française du Conseil de l’UE au premier semestre 2022. « Il nous faut une Europe de la défense. » a-t-elle expliqué.
Cela répondrait-il aux vœux des Français, qui veulent imposer leur vision en matière de défense ? Non, il y a encore beaucoup d’obstacle à franchir, car il faudrait que l’ensemble des nations souveraines soient d’accord pour subordonner ce droit régalien ! même à une simple coopération.
Mais la désinvolture avec laquelle Biden a traité la France dans « l’affaire des sous-marins australiens », a poussé les ministres européens des affaires étrangères, Von der Layen Présidente de la Commission européenne, et Charles Michel, Président du conseil européen en tête, à déclarer leur soutien à la France. Peut-être d’abord parce que l’Europe y a vu avant tout, l’échec d’une transaction commerciale avec des Anglo-Saxons qui pourraient annuler comme bon leur semble leurs engagements.
Mais de là à aller vers une indépendance plus marquée avec « l’alliance » et le rôle impérial des Usa… La France historiquement porteuse de ce projet risque d’être isolée le temps que les enjeux deviennent clairs pour tous les européens.
Et la Chine ?
La question des relations avec la Chine est un autre problème. La réalité est que l’Europe, tous pays confondus, commerce avec la Chine y compris dans des domaines névralgiques de haute technologie. La « route de la soie » est une aubaine pour des pays comme la Hongrie, et bien d’autres.
La cupidité européenne a fait que l’Europe s’est peu à peu désindustrialisée pour transférer son industrie vers « l’atelier du monde » qu’est devenu la Chine, un atelier de plus en plus sophistiqué. Une concurrence de coûts globaux qui a libéré le capital de tout pacte social et permis de développer la rente plutôt que son appareil productif. Le nombre de milliardaires a bondi tant en Europe qu’en France, le pays européen le plus désindustrialisé.
Enfin, la « crise de la Covid 19 » a mis en évidence la fragilité et la dépendance de l’Europe, privée de livraison de composants essentiels - comme en matière de pharmacie ou industriel - bloquant par exemple la production de l’automobile par la non livraison des semi-conducteurs dont elle ne peut se passer. L’Asie - et surtout la Chine - est devenue incontournable. Recréer éventuellement ce type d’industrie en Europe ne se fera pas du jour au lendemain. Cela ne pourra être envisageable sans un développement important de l’intelligence opérationnelle dans ces technologies. Les Usa ont d’ailleurs le même problème. Trump avait évoqué la nécessité de rapatrier ces industries.
En bref, les Européens, et le monde, n’ont pas intérêt à un conflit en Asie avec la Chine.
Un « siècle Américain » (*) toujours plus pesant et dangereux.
La température mondiale est de plus en plus chaude non seulement sur le plan écologique mais aussi sur le plan militaire.
L’Europe va-t-elle continuer à se soumettre et à participer à la politique américaine d’agression contre d’autres nations qui ne lui conviennent pas ? Peut-elle accepter d’être engagée dans un conflit contre la Chine, ou la Russie, l’Iran etc., dont on sait par avance que les incidences vont être dramatiques pour le monde entier ? Ne serait-ce pas pour l’Europe le moment de jouer un grand rôle pour la paix dans le monde ?
L’heure est venue de se poser la question du rôle de l’Otan, de sa sortie et de la nécessité de la paix, un moment essentiel.
Septembre 2021
*- Selon l’expression de Henry Luce dans un éditorial du Time du 17 février 1944.