«LA CRISE HISTORIQUE DE L'HUMANITÉ SE RÉDUIT A LA CRISE DE LA DIRECTION RÉVOLUTIONNAIRE »

(Trotsky, 1938, Le programme de transition)

Aux yeux des affairistes, ces dernières années étaient les plus « riches » en perspectives de développement capitaliste. La baisse continue des impôts; les différents cadeaux fiscaux réservés aux entreprises et aux grandes fortunes ; des taux d'intérêts au plus bas ; une inflation « maîtrisée » par la contrainte sur les salaires; un coût du salariat notablement réduit sans que de grands conflits sociaux mettent en péril ce nouveau paradigme assis sur les délocalisations et la flexibilité des statuts; une circulation en temps réel et globalisée du capital permise par des techniques informationnelles et de communications extrêmement performantes; bref, l'économie libérale semblait avoir un boulevard infini devant elle. Le « retour sur investissement » fixé à hauteur de 15 % adopté par les Conseils d'administration des grandes entreprises devenait le dogme en dessous duquel il fallait purement et simplement, soit liquider l'entreprise qui n'en était pas capable, soit la racheter en la « dégraissant » de ses compartiments qui retardaient prétendûment la marche vers une rémunération toujours plus gratifiante pour les actionnaires, y compris au prix de dérives comptables (Enron), financières (La «bulle des High tech ») ou managériales (les fameux parachutes dorés). La crise des « subprimes »? Limitée aux États-Unis, c'était d'une certaine manière un juste retour à leur culture d'endettement excessif. Puis badaboum, la crise ! Les grandes crises pourrions-nous dire, car en fait trois crises se conjuguent actuellement : écologique, alimentaire, et banco/financière qui se traduisent par une crise de confiance dans le modèle mis en place par Thatcher et Reagan il y a plus de 30 ans.

Le libéralisme

Les caractéristiques essentielles du capitalisme anglo-saxon ont peu à peu vérolé les « autres formes de capitalismes ». Dans le capitalisme mixte français ou rhénan en Allemagne, la présence d'un « État providence », né du rapport de force entre la gauche socialiste et communiste face à la droite, astreignait e capital à un saupoudrage redistributif. Le financement des entreprises par l'ouverture du capital et le développement de l'actionnariat (dont les fonds de pension) a remplacé le financement par l'emprunt. Avec pour conséquence un poids de plus en plus grand des actionnaires dont les exigences vont peser sur la répartition de la plus value qui s'est inversée ces vingt dernières années en faveur de la rémunération du capital (« aux États-Unis au cours de ces trente cinq dernières années les salaires réels des travailleurs non qualifiés ou semi-qualifiés ont stagnés », Jeffry A. Frieden, Harvard, in La guerre des capitalismes aura lieu? cf. Le cercle des économistes »). Les intérêts privés remplacent les intérêts de tous. Pour accompagner ce développement il a fallu, par exemple en France, déréguler le système bancaire et financier. Tâche à laquelle se sont attelés Berégovoy et Mitterrand. Ce qui voulait dire en clair, place à la « liberté des marchés » et à une « économie ouverte » même si pour cela il faut privatiser les entreprises nationales, les services publics et tailler dans les divers budgets sociaux.

L'Europe et la crise

Globalement l'Europe vient de démontrer une fois de plus son inefficacité en jurant fidélité au dogme libéral, alors qu'il s'écroule. J.-C. Juncker le 16 octobre : « lancer un plan de relance à l'échelle européenne nous conduirait très automatiquement dans certains pays à prendre congé par rapport aux règles saines du Pacte de Stabilité », Il est vrai qu'il dirige un État dont les règles sont tout à fait saines : le Luxembourg, très sain paradis fiscal !

La France en bon féal a annoncé son plan de sauvegarde copié sur celui des Paulson-Bush. Que d'incohérences dans tout cela. Vite, sans analyse précise de la situation française, il fallait soutenir Dexia, qui est un groupe international dont les activités sont réparties en Belgique, en France et au Luxembourg, avec des capitaux provenant de l'État français ! De même qu'il fallait vite sauver Fortis, là aussi un établissement financier belge très impliqué avec Dexia ! Et ainsi BNP Paribas, banque française nationale privatisée en 1993, se retrouve avec l'État belge dans son capital à hauteur de 10 % ! Visiblement cela n'a choqué personne ! L'Allemagne, qui se considère vertueuse, voulait régler toute seule ses problèmes, puis, quelques-uns uns de ses établissements se trouvant en difficultés elle a fini par annoncer qu'elle acceptait « une réaction concertée et cohérente » des Européens, tout en précisant « qu'il faudrait naturellement des nécessaires marges de manoeuvre pour chaque État membre... ». Exit donc, en fait, le plan de stabilité. Le plus incroyable dans cette histoire c'est de voir les États souverains agir prenant le pas sur « l'orthodoxie » européenne; c'est que le pacte qui serait accepté par les poids lourds de l'Europe vient de la Grande Bretagne qui est certes à l'origine idéologique de cette catastrophe mais absente de I'Eurozone, c'est elle qui vient quand même lui faire la leçon !

Là non plus personne n'est choqué ! On voit ainsi qui est le vrai patron de cette Europe-là !

« L'économie globalisée », la crise et ses conséquences

La généralisation du capitalisme libéral a poussé les économies dites « émergentes » à se développer à partir de l'exportation de matières premières, de produits agricoles, de produits textiles ou industriels même de bas de gamme comme dans le cas de la Chine. La baisse prévisible de la demande de consommation provenant des pays occidentaux, va avoir un effet cascade : baisse des prêts aux pays en développement, baisse des aides aux pays les plus pauvres. Le 17 octobre, à Cochabamba, en Bolivie, Michelle Bachelet, la présidente du Chili a appelé l'Union des nations sud-américaines (Unasur) à combattre ensemble la crise financière : « Cette crise affectera le flux d'investissement et la demande d'importations dans la zone et c'est une tragédie pour notre économie régionale qui sera retardée par cette crise », déclaration reprise par Evo Morales. Presque tous les pays de l'Afrique ont déjà exprimé leurs craintes. L'effet de contagion pourrait atteindre rapidement des États comme l'Égypte, l'Afrique du Sud ou le Maroc aux systèmes financiers plus intégrés sur le marché mondial. La demande en matières premières reculera aussi. Quant à la crise alimentaire elle risque d'être occultée par l'ampleur du désastre financier. La diminution de la demande obérant dangereusement leur croissance, ces pays ont donc intérêt à ce que le système retrouve son souffle.

Dans les pays Occidentaux tout le monde a compris que les phénomènes déjà en oeuvre depuis plusieurs années, vont s'accentuer : pertes d'emplois, baisse des salaires, baisse de la redistribution sociale qui existe encore, fermeture d'usines, d'entreprises, de services, flexibilité accrue, développement de la misère et de la précarité.

Le monde entier va être touché. Tous les milliards annoncés par ci par là pour renflouer le système ne sont pas que virtuels. Ils vont alourdir la dette des États et donc des citoyens et « globaliser » la récession.

La fin du capitalisme ?

Ce à quoi l'on assiste aujourd'hui, ce n'est certes pas une « fin de l'histoire », même tragique. En revanche, ce devrait être la fin du mode de développement capitaliste. Deux crises économiques majeures en moins d'un siècle, deux guerres mondiales, et combien de guerres en Afrique, en Asie, en Amérique Latine, dans le Golfe et même en Europe (l'ex-Yougoslavie) ? L'abomination contre la civilisation !

Il ne faut pas se faire d'illusions. Existe-t-il une alternative immédiate un tant soit peu crédible, alors que la Russie et la Chine participent, malgré quelques particularités liées à leur histoire récente, au capitalisme international? Comme les pays du Golfe? C'est au contraire, peut-être grâce à ces pays que le système va être pérennisé en raison de l'importance de leur épargne, à hauteur de : 57 % en Chine, 28 % en Russie, 35 % dans les Pays de l'Opep. La Chine est très courtisée (on ne parle plus de droits de l'Homme), ce qui fait penser à la fable de la fourmi et de la cigale. Paulson (cigale) a déjà conversé avec elle au moment ou la tourmente était la plus forte sans livrer les tenants de cet échange. On peut les imaginer sans peine. La Chine (fourmi) détient 2 000 milliards de dollars, bien plus que le Japon (990 milliards de dollars), autre fourmi qui lui aussi achète régulièrement des bons du Trésor américain. La Chine ne manque pas de grands travaux d'infrastructures à réaliser dans les villes comme dans les campagnes, mais c'est d'abord à la coopération internationale qu'elle pense, parce qu'elle lui permet un enrichissement plus rapide et que sa croissance et ses réserves sont très étroitement liées à la consommation des États-Unis. Il en est de même pour les pays du Golfe qui n'hésitent jamais à faire une bonne affaire en investissant dans les banques anglaises ou américaines pour les sauver de la banqueroute. La Russie, quant à elle disposerait de plus de 500 milliards de dollars mais elle n'est certainement pas disposée à les prêter aux Américains, qui ne cessent de lui adresser des discours très agressifs.

Fallait-il que les États interviennent pour renflouer le système ?

Oui, surtout si l'on prend en compte le poids des banques ramené à la richesse de leurs pays. Des statistiques publiées dans le Monde (15 octobre 2008) sont sidérantes et montrent bien l'ampleur que pourrait avoir la crise sans une politique interventionniste. « Plusieurs banques européennes ont un actif qui dépasse le produit intérieur brut de leur pays : exemple : BNP Paribas représente 95 % du PIB de la France, Royal Bank of Scotland 109 % de celui de la Grande Bretagne, etc. », c'est-à-dire que les actifs cumulés des grandes banques représentent à eux seuls, 3, 4 voire 5 fois le Produit intérieur brut de leurs États ! Force est de constater néanmoins que les dispositions actuellement prises, hors celles de fluidifier et de garantir le marché interbancaire, sont en fait destinées à pérenniser le système spéculatif en lui garantissant des liquidités qui proviendraient d'on ne sait quelle baguette magique (même s'il ne s'agit que d'annonces) et qui n'ont abouti jusque-là qu'à engendrer les mouvements baissiers erratiques de ces derniers jours dans les Bourses. Le seul moyen pour revenir aux équilibres serait de favoriser l'épargne et non la dépense. On peut vérifier que les annonces des uns et des autres (et en cela rien ne distingue Obama de Mc Cain, de Sarkozy, des Européens), ne remettent pas en cause le mode de consommation basé sur l'endettement des ménages et des États, le gaspillage des ressources et les inégalités de toutes sortes. Une fois de plus les solutions adoptées sont les plus faciles : reporter les échéances dans le futur; ce qui annoncerait d'autres crises à venir toutes aussi ravageuses, et encore des guerres.

Il faut casser ce système

Nous disposons aujourd'hui de tous les moyens techniques, intellectuels, scientifiques pour éradiquer la misère, la faim, les maladies endémiques, l'illettrisme et répondre aux problèmes écologiques.

Oui les crises sont intrinsèques au système capitaliste. Il est impératif de le réguler et de l'administrer pour répondre aux besoins immédiats de la planète comme de rendre les marchés plus transparents.

En réalité, il faut nationaliser le secteur bancaire, certaines assurances, contrôler les produits diffusés sur les marchés ou les interdire. Il faut lever le secret bancaire et faire disparaître les paradis fiscaux.

Il faut à nouveau réfléchir sur des économies mixtes ou l'État aurait toute sa place en matière de développement à long terme, en mettant fin par exemple aux délocalisations qui tuent les emplois.

Il faut redonner aux États souverains, à la démocratie, aux citoyens, aux salariés les moyens de contrôle et d'agir sur les choix politiques et économiques.

Et la « gauche » ?

Enfin cette crise met l'accent sur l'état de délabrement et d'éparpillement de la riposte de gauche. La gauche sociale-démocrate a été gangrenée par la "peste Blairiste" et le modèle américain du bipartisme. Elle s'est développée à partir des années 1970 sur l'accroissement des couches moyennes et l'amélioration de leur statut au détriment de la majeure partie de la population, des enseignants, des employés et des ouvriers, des paysans... se bornant à accompagner les restructurations et les pertes d'emplois industriels. Le Parti communiste se trouve aux prises avec son passé stalinien, sans le courage de le reconnaître et sans sursaut radical alors que s'éloigne son électorat traditionnel et depuis 40 ans l'extrême gauche joue la mouche du coche tout en ayant le projet de devenir hégémonique.

Cette gauche-là, dans son ensemble, n'a pas été la hauteur de la tâche que le peuple lui avait confiée en votant « non » à la Constitution européenne.

Il ne s'agit pas maintenant de mettre en place « un keynésianisme vert » comme le propose Susan George (Le Monde, 17 octobre 2008) mais bien « un programme rouge » (le vert n'étant après tout qu'un hybride complémentaire du rouge). La période qui s'ouvre avec cette crise doit être comprise comme une opportunité historique de revenir aux fondamentaux de la lutte de classe. Il ne pourra y avoir de réelle riposte sans sursaut populaire radical, sans des rassemblements unitaires, sans un programme politique commun sur les questions posées par cette crise, sans interventions militantes dans les lieux désertés par toute la gauche : entreprises, syndicats, quartiers, jeunes des banlieues, etc. La question centrale reste toujours celle du partage de la plus value, de l'expropriation des capitalistes et de la prise du pouvoir par le peuple souverain, par les travailleurs et par les citoyens eux-mêmes pour une République autogérée.