Le résultat des élections des 24/25 février bouscule la classe politique italienne tout en adressant une mise en garde à l’Europe au moins celle des pays soumis à l’euro. Les 25% de Beppe Grillo et de son mouvement « 5 stelle », ne sont pas nés du hasard. Ils ont leurs racines dans l’histoire politique récente des Italiens. Et tout le monde s’accorde à penser que le destin de la « 2ème République »  pourrait suivre celui de la « 1ère République », formée en 1946, dévaluée et enterrée dans les années 1990. Les conditions actuelles sont quasiment identiques, hormis la « nouveauté » du Movimento 5 stelle de Beppe Grillo. Nouveauté toutefois relative, car pour l’essentiel, l’Italie a déjà connu dans le passé le mouvement du « qualunquismo »,  (l’Homme quelconque), dans la phase de transition entre le fascisme et la République, c’est à dire un populisme anti partis et contre l’Etat qui se proposait d’abattre la frontière entre les gouvernants et le peuple en privilégiant la mobilisation des masses pour dépasser les divisions de classe.

La « 2ème République »  va-t-elle imploser comme la « 1ère République »?

Les principaux partis de la « 1ère République » étaient à l’origine  issus de la résistance au fascisme (1943/1945) : la Démocratie chrétienne (35/40%), le Parti Communiste Italien (25/35%), le Parti Socialiste Italien (10/15%) plus quelques petites formations laïques et Républicaines. Le Mouvement fasciste fut interdit cependant l’extrême droite mussolinienne se regroupa, sans problèmes, sous l’appellation « Mouvement Social Italien ».

Bien que l’alliance de l’époque  entre le Pci et le Psi forma la coalition majoritaire, c’est la Dc qui s’arrogea la position centrale jusqu’aux années 1960 (Andreotti) où elle fut obligée de former des alliances avec les socialistes (Craxi) et les centristes (Forlani). Soutenue par le Vatican et l’ « ami américain », la Dc avait pour rôle essentiel de bloquer par tous les moyens l’accès du Pci au pouvoir y compris à l’aide de complots contre l’Etat (comme ceux de la Loge p2, 1974, et en 1990, celui du Gladio, organisme dépendant de l’Otan), de tentatives de coups d’Etat (à la fin des années 1960), voire même d’assassinats comme celui d’Aldo Moro (1978) qui s’apprêtait alors à proposer l’entrée du Pci de Berlinguer et de son « compromis historique » au gouvernement (crime qui reste globalement non élucidé en ce qui concerne la question « du » ou « des » commanditaires).

Minée par le clientélisme, les affaires, la corruption et la crise économique et financière ( la lire sort du S.M.E. le Système Monétaire Européen en 1992) la Dc s’effondre au moment même où la chute du Mur de Berlin bouleversait la donne politique européenne et annonçait l’effondrement du mouvement communiste incapable de rompre avec la doxa stalinien qui avait caractérisé tous les partis communistes du Komintern.  

C’est cette représentation politique, mise en place sous la « 1ère République » dans le cadre national de la reconstruction démocratique du pays et international de la guerre froide, qui s’effondre en même temps que le Mur de Berlin. La « 2ème République » s’annonce en pleine crise financière, institutionnelle et politique. De nouvelles formations se mettent en place qui vont transformer la vie politique italienne et le rapport des citoyens à leurs élus au cours de ces vingt dernières années.

  Les acteurs de la transformation. C’est ainsi que 3 jours seulement après la chute du Mur, le neuf novembre 1989,  Achille Occhetto (secrétaire général du Pci) annonce la possibilité de changer le nom du Parti. Il inaugure ainsi le cycle de mutations du Parti Communiste en Parti Démocratique de Gauche (Pds),  puis en Parti démocratique (Pd) et une pratique d’alliances électoralistes de plus en plus large allant jusqu’à des centristes comme  Prodi. La fracture avec l’histoire du mouvement ouvrier italien est consommée même si deux groupes minoritaires hostiles à la réforme donnent l’un naissance au Parti de Refondation Communiste (Prc) et l’autre au petit parti orthodoxe du Parti des Communistes Italiens (Pdci). On peut dire avec Rossana Rossanda (qui vient de quitter le Manifesto qu’elle avait fondé pour créer un groupe de bilan et de réflexion) que le lent « suicide du Parti Communiste », le plus puissant d’Europe, va favoriser et accompagner le naufrage de la vie politique italienne.

Le 4 décembre 1989, Umberto Bossi lance la « Lega Nord », un poujadisme séparatiste du nord du pays et en janvier 1990, Silvio Berlusconi fait parler de lui  en achetant les éditions Mondadori et en obtenant un quasi monopole sur le télévisuel qui le pousse à clamer son ambition politique qu’il réalisera en juin 1993 avec le parti « Forza Italia » un populisme « entrepreneurial », construit sur le modèle des clubs de foot, avec la promesse faite à tout ce maillage d’entrepreneurs familiaux qui font la fortune de l’Italie du Nord de gérer le pays « comme une entreprise » et de lui amener richesse et bien être.

La corruption et les « affaires » reprennent de plus belle malgré l’offensive de magistrats courageux parfois au risque de leur vie et l’opération des « Mani pulite » de Di Pietro. Une longue période de crises scandée sur la fin par l’alternance entre les deux partis majoritaires celui de Berlusconi et du Pd… La stratégie des alliances prend parfois des allures d’Opera buffa.

L’illusion d’une solution européenne. Pour échapper à la médiocrité de leur classe politique, la majorité des Italiens se tourne alors vers l’Europe, qui, pensent-ils, sera capable de mettre de l’ordre dans le pays. Ils vont se révéler des européens indéfectibles. Ils acceptent des sacrifices importants pour rentrer dans l’euro (retraites, chômage etc..), contre le refus des Allemands (« Non aux pays du club Med »). Il s’avéra que cette solution n’en était pas une, mais une fuite en avant, car demander aux autres de régler ses propres problèmes ne peut à un moment donné que se retourner contre soi. Puis la « crise » financière et économique arrive en Italie. On connait la suite.  L’Europe est touchée par le scandale des subprimes qui met en évidence une escroquerie cynique et la fragilité du système bancaire international et européen commandité par la cupidité des dirigeants des grandes entreprises multinationales et des Fonds de pension.  Les décisions monétaristes de la Commission européenne plombent l’activité économique et conduisent à la récession alors que les « marchés » demeurent attachés à une rémunération importante et rapide. Ils renvoient les nombreuses « cigales européennes » l’Irlande, la Grèce, le Portugal, l’Espagne  et plus récemment l’Italie à des niveaux de pauvreté qui semblaient disparus.

Le blocage de la vie politique, malgré une « société civile » en perpétuelle mobilisation. Le feuilleton des ébats amoureux de Berlusconi, ses possibles relations sulfureuses avec des membres de la Mafia, ses mises en procès incessantes, comme le regain de corruption qui touche aussi la famille du leader de la Lega Nord, Bossi et quelques responsables de gauche, dissimule pour un temps le gouffre créé par l’incurie de la classe politique italienne à respecter un minimum de règles permettant de redresser l’économie et les finances sans oublier la  justice sociale. Les italiens, Vatican compris, finissent par se lasser.

Pour autant, le « peuple de gauche » n’a de cesse de se mobiliser pour secouer ses élus, lui rappeler leurs engagements. La société déferle à tour de rôle dans les rues et les places : les «Girotondi » (les rondes citoyennes), les nombreux mouvements, comme celui des femmes « Si no ora, quando ? » (« Si ce n’est pas maintenant, quand ? » avec plus d’un million de femmes investissant les places contre l’image de femmes bimbos véhiculée par les médias de Berlusconi) ou celui du « popolo viola » précurseur du Movimento 5 stelle, (« le peuple violet » selon la couleur choisie par les manifestants du « No a Berlusconi » et qui ont réclamé sa démission en déc. 2009). Ces fortes mobilisations ne trouvent aucun réel relais politique.  

A la place de l’aide qu’ils escomptaient de l’Europe, les Italiens voient arriver des technocrates envoyés par Bruxelles qui « déposent et remplacent » leur gouvernement  légitime car sorti des urnes. L’équipe Monti (ex banquier de la Goldman Sachs) est toutefois soutenue par l’ensemble des partis de droite et du centre gauche qui s’effacent discrètement sans broncher. Monti fit ce pourquoi il était mandaté par le Saint Empire Germanique et aggrava un peu plus la situation économique du pays en portant des attaques continuelles aux restes de l’Etat providence italien, le Welfare comme disent les Italiens.

L’absence d’une réelle alternative à gauche, est sans aucun doute responsable de la situation, incapable qu’elle fut d’apporter une réponse unitaire pérenne, au-delà de la période des élections, sur un programme commun crédible, même minimum mais défendu par tous. Pire elle a accepté les « réformes » qui amputaient les revenus du travail, de la retraite, de la solidarité, y compris celle du code du travail.

A cet égard l’exemple de la Fiat est probant. En 2010, lors de l’affrontement entre la Fiat et le syndicat unitaire de la FIOM-CGIL (Fédération des ouvriers et des employés de la métallurgie),  alors que la direction de la CGIL, avec le feu vert du Parti démocrate, semblait prête à signer un accord qui remettait en cause les conventions collectives de branches professionnelles pour les transformer en contrats individuels, introduisant  la « flexisécurité »euphémisme pour ne pas dire rupture du contrat de travail du fait de l’employeur et livrant le salarié à l’arbitraire patronal  (art 18, l’article majeur du code du travail italien qui règle les licenciements, la représentation syndicale et la réintégration sur le poste de travail).

Les militants de la FIOM ontt été licenciés à la demande de la Fiat et la Fiom exclue de toute représentation  aux élections de délégués, car elle a mobilisé les salariés et refusé de signer la réduction des salaires et l’augmentation des rythmes de travail présentées comme « sauvegarde de l’emploi » ! Ses délégués ont été réintégrés sur une action en justice deux ans plus tard (2012). Une méthode qui ravivait le souvenir de  la saveur âcre du fascisme.

Quant à l’extrême gauche, même si, pour le temps des élections, elle se repositionne sans cesse en énième « Front uni », elle est victime de son morcellement en diverses petites formations regroupées autour de personnalités  qui  donnent l’impression de se soucier parfois plus de leurs carrières que du bien de tous.  Elle ne s’est toujours pas remise de son rejet du parlement lors des élections de 2010. Elle est devenue moins audible, repliée sur un certain nombrilisme et elle ne rassemble plus comme auparavant débordée par l’autonomie des mouvements de citoyens. Il lui faudra reconsidérer sa tactique et son programme qui sont devenus inadaptés à la situation actuelle. C’est ainsi que Claudio Grassi (*) voit en cette nouvelle défaite « la fin d’un cycle et l’échec à reconstruire une alternative de gauche ».  (* ancien syndicaliste ouvrier de la Cgil, l’un des fondateur du Parti de la Refondation Communiste)

La place était ouverte à tout mouvement  dénonçant et rejetant les structures précédentes de la vie politique.

Les élections des 24 et 15 février 2013

Sénat. Tout d’abord il faut noter (chiffres du Ministère de l’intérieur it.). un nombre de votants, 75,11% bien inférieur à celui de 2008 qui était de 80,4%. Fait inhabituel 3 millions et demi d’Italiens ne se sont pas rendus aux urnes, même si le niveau de votants est encore de très bonne tenue.

La coalition du Parti Démocrate (31,63%  et en 2008 : 38%) emporte de peu la majorité sur le Pdl de Berlusconi et fait du Pd le parti gagnant avec 27,43% des voix (33,69% en 2008). Son principal allié Vendola du Sel (gauche, écologie, liberté) obtient seulement 2,97% des voix.

Comme toujours c’est le Piémont et le centre du pays sous la plaine du Po qui donnent au Pd le plus de voix, comme par exemple en Toscane 39,50%, Emilie Romagne 39,6% et qui lui permette de bien résister.

Le Pdl de Berlusconi (22,30%) perd plus de 5 millions de voix et son allié la Lega à 4,33%, la moitié de ses voix. Leur coalition dégringole de 38% en 2008 à 30,72%.

Toutefois, le bloc social et idéologique de la droite construit par Berlusconi avec Allianza Nazionale de Fini (l’ex du Msi fasciste, le prétendu « dauphin » de Berlusconi qui a été exclu suivi par une minorité d’élus pour avoir osé demandé le départ du Berlusconi) et avec la Lega de Bossi, bien qu’en perte de vitesse a tenu en Vénétie et en Lombardie (sauf à Milan ville reprise par le centre gauche en 2011), indépendamment de la déconfiture de la Lega dans ces deux bastions historiques car presque supplantée par B. Grillo, et dans le Sud de l’Italie (Sicile, Pouilles, Campanie, Abruuzes et Basilicate). Sa force de nuisance reste encore forte.

Monti, qui a refusé d’adhérer à un parti a été soutenu par une coalition du centre et surtout par le Vatican, a perdu son pari avec 2,794 millions de voix, soit 9,13%. Il reste fortement courtisé par Bersani qui lui proposait dès avant le vote de gouverner ensemble contre l’avis déterminé de son partenaire N. Vendola du Sel qui en faisait un motif de rupture. Surprise : pour la Chambre des députés Monti va se trouver un nouvel allié dans Fini qui s’est engagé dans son regroupement.

 « Revoluzione civile » d’Ingroia (Prc, Pdci, verts..),  une union à la Front de gauche  qui se défendait de toute alliance avec Monti pour « créer à gauche un pôle à partir des luttes, des mouvements, de la centralité du travail » n’a obtenu que 1,79% des voix. La direction du Pdci autour d’Ingroia vient d’ailleurs d’annoncer sa démission.

Quand au groupe « sinistra critica », clone italien du NPA, il a décidé de ne pas participer à quelque alliance que ce soit, ni aux élections, tout en regardant du haut de son Aventin avec une certaine sympathie le mouvement de Grillo.

Reste Beppe Grillo, un imprécateur plus qu’un clown, l’évènement majeur de ces élections, avec 7.285, 85 millions de voix  et 23,79%. Des votes  qui proviennent de tous les milieux sociaux du Sud au Nord de l’Italie et qui le place soit à la première place des forces politiques, soit derrière l’un ou l’autre des partis traditionnels et s’il est en troisième position, il est toujours au-delà de 17/18%.

Son influence est plus marquée dans le Sud du pays, là où les structures de l’Etat sont déficientes. Ses meilleurs scores sont en Sicile 29,50%, dans les Abruzzes 28,36%, dans les Marches 30,29%, mais aussi en Ligurie 30,34%, sa région natale. Elle lui assure une pénétration non négligeable dans des régions comme la Vénétie où il rafle la mise avec ses 670 mille voix ( Lega : 290 mille voix ! )

A la Chambre des députés, la position du Pd est tout aussi délicate : 25,42 % pour 8.644,5 millions de voix  (2008 : 33,17% et 12.095 millions), comme celle de sa coalition : 29,55% pour 10.047,8 millions de votes. Il a l’avantage sur Berlusconi : 7.332,9 millions de voix 21,56%% (Lega : 1.390,0  pour 4,08%) et la coalition du centre droit totalise : 9.922,8 millions et 29,18%. Le grand vainqueur Beppe Grillo devient le premier « parti »  politique italien avec 8.689,4 millions de voix et 25,55 %.

Ces élections montrent que les deux blocs principaux, bien qu’en perte de vitesse ont encore une forte assise  dans le pays même s’ils ne peuvent gouverner seuls faute de majorité absolue sans alliances plus élargies aux marges. De fait le pays est divisé en trois forces quasiment équilibrées et devient une fois de plus ingouvernable. C’est donc du mouvement de Grillo que va dépendre la vie politique italienne.

Y aura-t-il un gouvernement de « salut public » ? Certains l’envisagent mais ce serait là, vraiment la mort du Pd. Bersani a peu de cartes en mains. Il tend tout autant la main à Monti en ne cessant de faire des appels du pied aux élus « Grillini » dont il pense qu’une partie serait prête à soutenir un gouvernement de centre gauche. Il leur a proposé 8 thèmes de discussion. Grillo fait la sourde oreille malgré la pression entretenue par ses amis, comme Dario Fo dramaturge et personnalité de gauche respectée. Il récuse toute alliance avec le « cadavre » l’aimable surnom dont il a affublé Bersani. Dans le même style il lui répond par  le refus des 43 millions de remboursement par l’Etat pour la campagne électorale en invitant Pd à faire de même.

Le Mouvement 5 stelle ?

Les jeunes italiens bien que diplômés sont depuis plusieurs années sans travail et contraints de vivre avec leurs parents. Ils n’ont aucune perspective d’avenir sauf à partir à l’étranger. Ce sont eux (40% des jeunes entre 18 et 25 ans) et les couches moyennes en voie de paupérisation qui ont fait la victoire de B. Grillo attirés par ses thèmes anti politique et de démocratie « digitale ». Le statut social des élus est parlant : chercheurs, ingénieurs, étudiants, diplômés en économie,  géomètres, techniciens, militants associatifs.

Le Movimento 5 stelle (fondé entre Août et Octobre 2009) se définit dans son article 1er comme « Un mouvement et non une association » ni un parti bien sûr, est un mouvement attrape tout... Il se présente comme un « moyen de confrontation et de consultation »dont l’épicentre originel se trouve dans le blog de B. Grillo lui-même. D’ailleurs le mouvement n’a d’autre adresse que celle du blog du leader et les contacts se font « exclusivement par courrier électronique ».

 Il emprunte aux mouvements des Indignés et aux Pirates Allemands la forme d’un mouvement de dénonciation aux contours politiques flous, le « no global », et son organisation en réseau avec une place centrale à l’internet par lequel s’exercera la nouvelle citoyenneté directe « digitale ».

Il est populiste car il reprend à la droite berlusconienne et à Bossi, l’illégitimité du système fiscal, le refus de payer des impôts, la défense des PME  « assommées par les banques qui ne font plus de crédit », l’’hostilité aux partis et à tous les corps démocratiques intermédiaires (magistrats, syndicats , médias)En bref il prône l’universalité de la figure du petit propriétaire menacé par la finance, l’Etat, les multinationales et les partis sans oublier les étrangers.

A la gauche et l’extrême gauche il emprunte les thèmes du contrôle des capitaux, de la défense des services publics et des revendications économiques plus classiques (abolition des stocks options, dénonciation de la finance, favoriser la société et non le profit..).

Aux verts de Socialisme, écologie et liberté de Vendola, la vision écologique sur les transports, la recherche des produits locaux, le refus de la marchandisation de la vie privée.

Il n’est pas contre la politique de réduction du déficit. Mais il va proposer un référendum pour sortir de l’euro.

Un programme éclectique qui veut être basé sur le bon sens populaire et la nouvelle technologie de l’information. On pourrait suivre la démarche de Grillo connaissant par ailleurs les problèmes qui minent la démocratie italienne depuis sa création. Par exemple dans cette critique de l’Etat, « Etat et société » : « L’organisation actuelle de l’Etat est bureaucratique, surdimensionnée, coûteuse, inefficace, Le Parlement ne représente plus les citadins qui ne peuvent choisir leur candidat, mais seulement le symbole du parti, La constitution n’est pas appliquée. Les partis se sont substitués à la volonté populaire et soustraits à son contrôle et jugement. ». Une critique en partie non dénuée de fondement.

Mais on ne trouve dans son programme aucune autre proposition alternative que celle d’une « démocratie digitale ». Le sujet principal de la transformation politique c’est le « citoyen digital ». Un citoyen, un peuple dans un « nouveau » rapport direct avec  le leader. Le peuple sera consulté par référendum internet et il  pourra ainsi démanteler tous les monopoles, y compris télévisuel et journalistique (abolition de l’ordre des journalistes, du copy right, etc.).

C’est à partir de cette « démocratie internet » présentée comme le summum de la démocratie qu’il faut se poser beaucoup de questions. Dans ce cas précis, cette « démocratie horizontale » [hors donc de toute structure verticale de représentation, sans proportionnalité des divers courants de pensée politique, sans partis, sans syndicats, sans magistrats, etc., sans contrôle réel par la société sur cette société « digitale »] serait-elle une démocratie qui se projetterait et s’appuierait non plus sur le contrôle des citoyens mais sur une sublimation de l’opinion dont on sait combien elle est manipulable, combien elle peut être dangereuse ? La démocratie peut-elle se limiter  à l’action de cliquer sur telle ou telle option présentée par le leader ? Comment contrôler la validité de telle ou telle consultation ? La décision finale n’appartiendrait-elle pas en définitive au leader ? Ne finirait-elle par sonner le glas de la démocratie ? Cela éveille un vrai malaise et évoque des perspectives plutôt sombres.

Enfin et surtout le programme du Movimento 5 stelle ignore toute analyse politique de la société italienne, du capitalisme et du travail, des rapports sociaux de production, d’un programme de transition vers le socialisme, mais ce n’est pas son but. Il renverse la proposition : ce n’est pas le néo libéralisme et le capitalisme qui sont responsables du chaos mais les partis et les syndicats qu’il faut combattre.

C’est peut-être pour cela même que l’ambassadeur américain actuel à Rome, David Thorne, vient d’inviter les jeunes italiens à « prendre en mains leur pays et agir avec le Movimento 5 stelle pour les réformes et le changement » ! (14 mars 2013). « L’ami américain » a toujours du mal à ne pas s’ingérer dans les affaires internes italiennes. Quant à la Banque Goldman Sachs, elle a exprimé, la semaine précédant le vote des jugements plutôt positifs sur Grillo. On se croirait revenu aux temps de la guerre froide. 

***

Quoi qu’il en soit, les Italiens offrent là  une leçon que devrait méditer l’Europe avec le non massif à la politique de récession menée par l’Allemagne et les « Marchés ».

Par exemple pour la France où la politique « d’assainissement des déficits » est menée tambour battant contre l’ensemble des « couches populaires » par un Parti dit socialiste qui veut surtout faire bonne figure aux détenteurs de capital et à l’Allemagne. En effet en quoi la politique du gouvernement Ayrault est-elle différente de celle de Merkel de la Cdu et de Schroeder du SPD ? A perdre son âme on peut perdre le pouvoir.

Le récent accord sur l’emploi entre la représentation patronale du Medef et 4 syndicats en est une version caricaturale. Derrière la carotte d’une mutuelle pour tous, de droits rechargeables au chômage, se dresse une atteinte sans nom au droit du travail : « L’entrepreneur pourra contraindre les salariés à accepter un changement de lieu de travail ». « Les salariés qui refuseront les réductions de salaires ou la variation du temps de travail pourront être licenciés plus facilement. Il n’y aura plus besoin de plan social. » (Le Monde du 7 mars). Le Medef s’extasie « un contrat historique car depuis 70 ans il n’y avait pas eu une telle réforme possible ». Le Ministre du travail Sapin dit que c’est un bon contrat. Exit toutes les luttes antérieures visant à améliorer la condition salariale et sociale. La Cgt et Fo ont refusé de signer.

L’entreprise Renault avait précédemment imposé aux salariés Espagnols du groupe un contrat augmentant le temps de travail et une réduction des salaires. Avec un taux de chômage de 27%, le contrat a été accepté en contre partie d’une promesse de garantie de l’emploi pour une période déterminée. Renault a voulu reproduire cet « exploit » et présenter le même genre de  contrat aux syndicats français. Tous, sauf la CGT, ont accepté une réduction de 15% des effectifs, une mobilité accrue sur la base du volontariat (sic) et l’allongement du temps de travail. Montebourg a souligné, l’accord étant « ultra majoritaire avec la CFDT », qu’il voyait dans ce texte « des concessions mutuelles » et « le retour de Renault en France ». (Le Monde du vendredi 8 mars).

Cela ressemble fort à ce qui s’est passé en Italie autour du conflit Fiat/Fiom, sous la contrainte du chômage pousser les salariés à revenir sur les « acquis sociaux », fragiliser la condition salariale, abaisser le coût du travail sans cesser de verser des dividendes aux actionnaires. A  la seule différence que  la Cgt n’est pas exclue mais isolée. Cela ressemble fort à ce qui se passe ailleurs en Europe, aligner la force de travail européenne sur des minima pour une « meilleure compétitivité ».

On ne sait ce que va devenir le Movimento 5 stelle, mais la période ouverte est très dangereuse pour Italie, comme pour  la France. Il faut savoir que la seule personnalité politique française qui a exprimé un « je suis heureuse du résultat des élections italiennes », c’est Marine le Pen du Front National. Elle voit surement en B. Grillo la confirmation de son propre projet politique.

14 mars 2013