Les élections européennes viennent d’avoir lieu et leur résultat est sans surprise : une majorité d’abstentions (57%), moins d’un européen sur deux s’est rendu aux urnes. 

Les pays de l’ancien « glacis » se sont distingués : Slovaquie (87%), République Tchèque (80,5%), Slovénie (79%), Pologne (77,3%, présenté comme le pays qui a le mieux su mettre à profit « son intégration »),  Croatie (74,9%), Hongrie (71,1%), Lettonie, qui vient d’adhérer à l’Euro (70%), Bulgarie (64,3%), Estonie (63,5%), Lituanie (55,1%). Cela n’empêche pas Bruxelles, l’Otan et les médias de nous dire que des Ukrainiens sont morts à Maïdan pour le « rêve européen » !

Par contre, bien étrangement, l’Italie (41,3% - mais moins 6% de votants qu’en 2009), la Grèce (41,8%), l’Irlande (48,4% et Malte (25 ,2%), montrent qu’il leur est difficile, alors qu’ils ont été violemment touchés par les mesures d’austérité imposées par la Troïka, d’imaginer un autre avenir que celui de la contrainte budgétaire et donc d’une relation de dépendance. (Chiffres donnés par le journal Le Monde du 27 mai 2014)

En fait ces résultats n’ont rien d’extraordinaire si on les compare aux abstentions des élections précédentes : près de 40% en 1979, jamais en dessous de 50% dans les années suivantes, puis une montée au fur et à mesure que s’imposait la subordination des peuples : 53,24% en 1999, 57,24% en 2004, 59,37% en 2009.

Et si dans les abstentions on tient compte des appels militants lancés de ci, de là, pour le boycott, et des votes en faveur de ces forces dites « euro sceptiques », « populistes » ou d’extrême droite qui traversent tant la droite que la gauche, c’est un vrai mouvement de contestation et de rejet qui vient de se manifester.

 Qui peut dire qu’il a gagné ces élections ?

 Les Conservateurs ?

La « droite » reste majorité au parlement européen avec 212 sièges auxquels on peut ajouter les 70 sièges des Libéraux, de quelques Verts et d’autres Conservateurs comme les Britanniques  (44 élus) dont l’Ukip, qui sauront se regrouper pour faire face à toute évolution penchant vers un  quelconque infléchissement « social » ou « démocratique ». Quoiqu’il en soit, ils voient leur influence grignotée dans tous les pays par une vague réactionnaire qui a choisi de voter pour les droites extrêmes de la « pureté de la nation » de la Hongrie d’Orban 51,49% et du Jobbik 14,5%, FN 25%, Ukip 27% (voire de la « pureté de la race », Aube Dorée grecque).

La Sociale Démocratie européenne ?

Depuis une vingtaine d’années elle va d’échec en échec (même si elle gagne 7 points en Allemagne, où elle est phagocytée dans la coalition avec Angela Merkel), elle n’emporte que 185 sièges. C’est une juste sanction de ses renoncements permanents, de son peu de résistance à l’expansion brutale du capitalisme financier (la « globalisation ») et de son accompagnement libéral de politiques qui au mieux gèlent et au pire cassent les acquis sociaux, mais augmentent la précarité et désespèrent les peuples. Néanmoins une partie des salariés continue à voter pour elle, persistant à déléguer la défense de leurs intérêts à des dirigeants politiques et syndicaux dont ils attendent une politique de stabilité, comme en Allemagne.

Les Verts ? Ils restent une petite force (55 élus), divisée quant à la politique à suivre contre le capitalisme (Capitalisme vert ? Ecologie fondamentaliste ? Ecologie Vert et Rouge ? Transition écologique anti productiviste ? Développement durable ? Europe des régions ? Europe fédérale ?  Etc.) En réalité la question du mode de développement traverse tous les courants politiques ce qui rend d’autant plus difficile la présence d’un programme et d’une organisation politique centrale qui ne soit pas clairement anti capitaliste.

La gauche radicale avec ses 43 élus qui avait choisi Syriza comme porte parole ? Elle est tout autant divisée en chapelles se regroupant autour de personnalités politiques qui tout en parlant « d’unité » pensent que cette « unité » doit se faire d’abord sur leur propre projet et personne, notamment en France, mais aussi en Italie.

Puis, 36 Souverainistes, 38 non inscrits dont le FN et 67 « indéterminés ». (Idem, Le Monde du 27 mai 2014).

Il reste toujours la question de ce que cela veut dire voter pour un « parlement européen » ? Est-ce un vrai « parlement » au sens de la représentativité démocratique d’un peuple souverain ? Mais où est ce peuple européen ? C’est là toute l’hypocrisie d’un mythe qui piétine la « solidarité », le « social », et la « sécurité » et la « libre détermination » des peuples. Il s’effondre devant la réalité du quotidien de millions de personnes.

Au fur et à mesure des échéances, les élections européennes sont devenues le terrain du refus d’une construction européenne sociale libérale. Elles témoignent aussi de l’absence d’un renouveau politique à droite comme à gauche non seulement capable de rétablir la démocratie et la souveraineté des peuples mais surtout pour la gauche de remobiliser la classe autour d’un projet socialiste.

Quelques fragiles lueurs venant du Sud de l’Europe ?

France. Assisterait-on aux balbutiements d’un peut-être futur renouveau venant d’une aile gauche  au sein du PS qui à décidé de se rassembler autour du manifeste de « socialistes affligés » et autres « frondeurs » qui veulent proposer une alternative à la politique d’austérité et à la soumission au modèle allemand qui mène la direction du pays et donc du PS dans le mur ? (cf. l’article sur la France)

Italie. Le « réformateur » Renzi (48% et 11,2 millions de voix ; 2009 35,3% et 10,8 millions de voix) a résisté au mouvement de Beppe Grillo (21,1% et 5,8 millions de voix ; contre 8,7 millions de voix aux élections de fév. 2013 et 25%) en bloquant l’ascension du Grillon, même s’il n’est pas encore à terre. Ce dernier a payé ses méthodes autoritaires et son refus de toute discussion au sein de son mouvement si bien que quelques uns de ses élus l’ont quitté, ont appelé à voter différemment ou ont rejoint d’autres formations politiques. Il cherche actuellement à se rapprocher des Britanniques de l’Ukip.  La droite de Berlusconi est KO, ramenée à 16,8% et 4,6 millions de voix.

Toutefois, Renzi, qui n’a pas la majorité absolue, devra peut-être finir par se livrer au sport favori des politiciens italiens, celui de coalitions boiteuses cherchant y compris le soutien actif ou la neutralité de Berlusconi, pour mener et accélérer « les réformes »  au risque de devenir très rapidement impopulaire et plonger à nouveau l’Italie dans n’importe quelle aventure.

Grèce. Syriza passe de 4,7 % et 1 élu en 2009, à 26,5 % et 6 élus, devançant la droite ND (droite) : 22,8 % et 5 élus (2009 : 32,3 % et 8 élus), et le Pasok : 8 % et 2 élus (2009 : 36,6 % et 8 élus). Mais sa victoire s’accompagne de la montée de l’Aube dorée, groupe nazillon, qui passe de 0 en 2009 à : 9,4 % et 3 élus.

Syriza a représenté un espoir pour les Grecs et les gauches autres que les sociaux démocrates en Europe. C’était une bonne nouvelle, un levier  de lutte contre la Troïka pour remobiliser les peuples. Mais, ce résultat électoral reste fragile. Les Grecs vont être juges de sa capacité ou non à défendre leurs intérêts de classe.  D’autre part que pourra peser la voix de Syriza dans le « parlement européen» ? Autre problème : il s’est déclaré « prêt à voter au nom du respect de la démocratie » en faveur de Juncker, le candidat de la droite majoritaire à la présidence de la Commission, ce qui laisse perplexe. Ne pouvait-il choisir l’abstention ou encore mieux le contre ? Pourquoi porter son soutien en faveur d’un homme qui perpétuera la politique européenne actuelle ? Et s’il échoue après avoir tenté des « arrangements avec la social-démocratie allemande », que deviendra la Grèce ?

Espagne. La grande nouveauté en Europe c’est la création du parti « Podemos » par des militants issus du mouvement des « Indignanos » qui ont occupé les places d’Espagne. C’est une surprise car les Indignés, qui avaient refusé toute organisation politique hiérarchisée alors qu’ils privilégiaient le tout réseau « horizontal », semblent faire preuve de maturité.

Leur formation est partie d’un manifeste militant pour plus de démocratie, lutter contre la corruption, pour un retour à la souveraineté nationale et aux droits des citoyens, contre le chômage, pour l’éducation, la santé, le logement et le respect de l’environnement. Un programme  dans lequel Podemos exprime sa volonté de « transformer le système financier » et de lutter pour « un modèle social  et une production », alternatifs et valables pour « tous les pays de la Méditerranée ». Ils ont obtenu 1,245 million de voix et 3 eurodéputés.

Il eut été curieux que les rassemblements de millions d’Espagnols contre la corruption et l’un des taux de chômage le plus fort d’Europe, surtout celui des jeunes, n’aient pas laissé de traces dans la vie politique espagnole.

Ainsi ce qui se passe dans ces pays du « Sud » pourrait-il être le signe politique du début d’une longue marche vers une recomposition répondant aux défis du 21ème siècle, résolument anti capitaliste et capable de remobiliser la classe ouvrière et redonner vie et consistance au projet d’une Europe favorable à la coopération entre Etats, sous contrôle démocratique des peuples ; un tout petit pas vers une Europe des Etats Unis socialistes ?

Juin 2014