La guerre civile en Syrie s’internationalise.

Dès le début du conflit syrien les Américains, essentiellement préoccupés par le retrait de leurs troupes d’Irak, ont gelé toute solution. Ils n’en sont pas moins intervenus avec la Cia et le Pentagone pour financer et entraîner des combattants qui ont rejoint ensuite le Front Al-Nosra, branche d’Al-Qaïda, dans la nébuleuse « rebelle » opposée à Bachar al Assad. Cette même organisation Al Qaïda qui a monté l’opération contre les deux tours  du Trade center à New York et qui a permis à Bush fils de lancer la deuxième guerre en Irak.

Quant à la France et aux Européens, ils n’ont rien compris aux évènements. Ils ont raté l’occasion dès les premières heures de soutenir la mobilisation populaire contre les exactions du « boucher de Damas », population qui a été brutalement réprimée par Assad et son armée y compris semble-t-il avec des armes chimiques alors qu’ils avaient accepté de les détruire sur proposition Russe.

On peut reprocher à la France, qui en avait les moyens,  de ne pas avoir su analyser la complexité de la situation et d’avoir eu ce même aveuglement qui l’avait conduite il y a peu à mésestimer les enjeux de la révolte tunisienne (ou à la guerre en Libye). Ni envisager les conséquences politiques, sociales et confessionnelles d’une guerre qui va déstabiliser le Liban, la Jordanie et tout le Moyen Orient.  Sans oublier ses effets indirects sur Israël et la Palestine. Les dernières violences provoquées par la bravade de colons juifs sur l’esplanade des mosquées et qui se traduisent par les tirs à balles réelles de l’armée israélienne et les pierres des jeunes palestiniens sont peut-être les prémices d’un troisième affrontement sérieux dont l’audience internationale sera recouverte par la guerre en Syrie.

La France était traditionnellement considérée comme ayant une certaine expérience du « monde arabe » et de nombreux contacts dans la région dont en Syrie.  Elle avait refusé de participer à la guerre de Bush fils. Elle pouvait décider de peser pour infléchir la politique de répression déterminée de Bachar al Assad, voire le neutraliser. Par exemple en organisant le gel de ses avoirs à l’étranger et les livraisons d’armes. Comme elle pouvait prendre langue avec Poutine pour le dissuader d’intervenir en faveur de Bachar al Assad.

Mais inféodée à l’Otan, elle a rapidement négligé toute solution diplomatique pour s’engager avec les Américains au soutien sur place d’un ensemble de forces fragmentées, plus ou moins « jihadistes », plus ou moins « nationalistes », plus ou moins « démocrates », plus ou moins « laïques », plus ou moins « modérées », plus ou moins « radicales », qui, gagnées peu à peu par la confessionnalisation du conflit, rendait plus difficile l’approche diplomatique. Elle a préféré se livrer avec l’Otan à des frappes (sans aucun mandat international).

 Sous la houlette des Américains, l’« Occident » a donc échafaudé une coalition hétéroclite de pays aux intérêts divergents pour stopper l’invasion de l’E.I (Etat islamique).

Porteur d’un projet de construction d’un état transnational à cheval sur une partie de l’Irak et le nord est de la Syrie, et d’un califat, l’E.I. se réclame d’un Islam des origines avec la Charia comme loi et un jihad féroce comme moyen d’y parvenir. Férocité qui a néanmoins séduit un grand nombre de jeunes européens, plus ou moins musulmans, voire récemment convertis et dont certains pourraient poser problèmes s’ils revenaient dans l’idée de commettre des attentats.

L’E.I. est né du chaos qui a suivi la guerre américaine contre Saddam  et la décomposition de l’Etat irakien ; de la répression rigoureuse envers les sunnites irakiens par un gouvernement à majorité chiite qui s’est avéré incapable de gérer quoi que ce soit.  Enfin l’E.I., après s’être emparé de territoires irakiens (Kurdes) jusqu’à Mossoul, s’est retrouvé aux côtés de l’opposition syrienne dès les premières heures de la lutte anti Assad, pour finir par s’imposer et conquérir plus des 2/3 du territoire de la Syrie.

La coalition s’engage donc, si ce n’est à détruire, tout au moins à contenir l’avancée de l’E.I.

Mais, un nouvel intervenant à la force de frappe sérieuse a décidé et de rompre cette énième partie de dupes pour maintenir le statut quo dans la région : la Russie alliée à l’Iran, au Hezbollah et à Bachar al Assad. Poutine veut redonner à Assad le contrôle du pays et un rôle primordial dans la résolution du conflit dont Assad est le responsable principal.   Or Bachar al Assad - qui n’a jamais bombardé l’E.I. un « ennemi providentiel » - n’a plus aucune légitimité  aux yeux de la majorité des Syriens en raison des nombreuses pertes humaines qui lui sont dues et sans compter le nombre de réfugiés qui ont quitté le pays vers les pays proches et l’Europe, soit un bon tiers de la population.

La morale réprouve le soutien à Bachar al Assad. Mais, la morale a-t-elle encore un sens, quand la politique capitule devant les armes qui tonnent ?

On a donc, d’un côté les forces de l’Otan et des pays aux politiques ambivalentes comme la Turquie, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, Israël, etc. Et de l’autre une Russie isolée et condamnée pour son action en Ukraine.  Deux blocs qui peuvent nous faire replonger dans les affres de la guerre froide mais aussi nous forcer à agir pour qu’elle ne devienne pas « chaude ».

L’Histoire ne tient-elle aucune place dans le raisonnement des gouvernants ?

On sait l’histoire de cette région, elle a toujours été le lieu d’interventions diverses et variées pour la soumettre et on peut en citer les plus connues : les Croisades pour chasser les musulmans des Lieux saints chrétiens, la conquête ottomane et le Califat turc, les Colonisations et Protectorats divers pour « apporter la civilisation », l’établissement de frontières sans tenir compte des populations…

La liste est longue des ingérences dans ce qui est considéré comme le terrain favori de l’affrontement entre puissances impérialistes. Sans compter les guerres incessantes entre potentats arabes pour élargir leur territoire et leur influence.

Les évènements plus récents qui se sont succédés dans le Moyen Orient depuis les années 1980, n’ont visiblement pas conduit les gouvernants occidentaux à une réflexion politico-historique critique. Les fortes tensions qui œuvrent en ce moment le démontrent une fois de plus.

Par exemple comment oublier que deux guerres en Afghanistan (la russe et l’américaine) ont échoué à « pacifier », « démocratiser », « libérer » un pays où les Talibans retrouvent peu à peu leur pouvoir ?

De même que les deux conflits des Bush père et fils contre l’Irak n’ont réussi qu’à déstructurer le pays et la société, ouvrant une ère de conflits inter politiques, inter religieux, avec la partition du pays entre un Kurdistan non reconnu officiellement par les instances internationales (ni bien sur par la Turquie, l’Irak ou la Syrie) ; une administration chiite qui prend sa revanche sur les sunnites  et l’effondrement économique et social du pays,  toutes raisons qui sont à l’origine de la course au pouvoir de l’E.I..

Enfin, la guerre des Français et des Anglais en Libye, petits « caniches » des Américains, menée sans prévoir l’après guerre y compris là aussi les conséquences politico-sociales et confessionnelles sur le pays et la région (par exemple sur le Mali et l’Afrique sub-saharienne).

Une fois de plus, les armes tonnent avant toute démarche diplomatique ou politique sérieuse et le résultat est prévisible : une accentuation du ressentiment contre l’Occident » et de nouveaux conflits futurs. Il est vrai que le marché international des armes est un marché très rémunérateur, surtout dans une économie mondiale en panne. Les stocks anciens d’armes vont être écoulés et le nouvel armement testé.

Des intérêts divergents, une cécité historique : les risques d’une déflagration mondiale.

  • La coalition. D’abord, pourquoi la coalition pourra-t-elle réussir  là où les Américains, malgré leur matériel sophistiqué, ont déjà échoué ? Alors qu’ils ont régulièrement bombardé les positions de l’E.I. depuis plusieurs mois, sans réels effets sur son avancée ?

Ensuite a-t-on pris en compte, par exemple, l’impact  politique de ces bombardements sur une population civile déjà victime des exactions de l’E.I, qui va subir les « dégâts collatéraux » (comme l’« incident » en Afghanistan qui a détruit l’hôpital de campagne de Médecins Sans Frontières bombardé « par erreur »), population qui peut finir par se retourner contre les coalitions « libératrices » ?

D’autre part, l’Europe est divisée. La France  refuse que Bachar al Assad puisse être à moyen terme un élément de la solution du conflit. L’Allemagne en est moins convaincue. Les Américains oscillent entre les deux. Quant aux alliés arabes, ils sont clairement contre Assad et l’Iran.

La Russie soutient Assad. De quoi aiguiser les tensions et les risques de « dérapage ».

  • L’intervention de Poutine a immédiatement suivi les frappes françaises. Il revient au premier rang sur le plan international en ajustant ses raids sur la «rébellion terroriste», qu’elle s’avère  être l’opposition syrienne à Assad ou les troupes de l’E.I., et en facilitant l’intervention au sol des troupes iraniennes et celles du Hezbollah.

La Russie a basé sa stratégie sur le seul soutien à Assad pour différentes raisons. Entre autre, c’est que Bachar Al Assad, son dernier allié dans la région (allié depuis la période soviétique), est très affaibli, il ne contrôle plus que la zone côtière, soit 20% de son territoire. Un problème pour la sauvegarde des intérêts économiques russes présents dans le pays. La Russie y a beaucoup investi et elle dispose d’une base navale à Tartous ce qui lui donne un point de mouillage en Méditerranée. D’autre part, une grande partie des chrétiens syriens sont orthodoxes et proches du patriarcat de Moscou, dont on sait les relations avec Poutine. Enfin elle craint que l’effervescence « islamique » ne donne à nouveau des idées insurrectionnelles au Caucase.

Poutine, ex officier du KGB, autocrate musclé et partisan du rétablissement de l’influence de la « Grande Russie » (mais d’une Russie capitaliste),  entreprend là une partie serrée y compris sur le plan intérieur. Les Russes ont toujours en mémoire la guerre en Afghanistan qui a couté cher en vies et qui s’est terminée par la chute du régime stalino-soviétique. Dès les premiers cercueils qui rentreront au pays, Poutine pourrait se trouver face à une contestation intérieure, sans compter le coût pour son économie déjà touchée par les sanctions occidentales.

En intervenant en soutien du régime Assad, la Russie prend le risque de se trouver directement face à la coalition des forces de l’Otan. En l’absence de collaboration entre la Russie, les Usa et l’Otan,  il y a grand péril d’une fuite en avant, d’un conflit à caractère mondial se superposant à celui de la Syrie. Les conservateurs américains n’aimeraient-ils pas une bonne fois pour toute réduire la Russie en une province vassale de l’Otan ?

  • La Turquie. Quand bien même elle ait accueilli des millions de réfugiés sur son territoire (sans avoir reçu l’aide promise par l’Europe),  les intérêts de la Turquie sont avant tout de mater la rébellion kurde du PKK qu’elle pilonne comme bon lui semble et d’éliminer lors des prochaines élections (en Novembre 2015) l’opposition qui vient d’entrer au parlement (en Juin 2015) et qui a fait perdre la majorité à Erdogan. Elle se pare de la puissance de l’Otan en menaçant la Russie qui aurait « violé » son espace aérien (et l’Otan de renchérir), et elle ne renonce pas à rejouer un rôle sur la région.
  • Quant aux Arabes sunnites (pétromonarchies et autres royaumes aussi peu démocratiques et soucieux des droits de leurs populations que Bachar al Assad envers la sienne), on sait leur inimité historique contre l’expansion iranienne et leur crainte que l’Iran puisse développer l’arme nucléaire. C’est pourquoi l’Arabie saoudite (qui s’inquiète des conséquences de  l’accord Iran/Usa) a tout de suite soutenu les frappes et la position française, tout en étant bienveillante envers l’intervention russe. Ils sont d’accord pour l’éradication de l’E.I. quels que soient les moyens pour y parvenir, car ils craignent le développement d’oppositions, qu’elles soient d’obédiences chiites, sunnites, jihadistes ou démocratiques, qui mettraient en péril leur pouvoir de droit divin.

« Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »

Le Moyen Orient a connu divers systèmes qui ont tous échoués : politiques coloniales, nationalisme, panarabisme, « socialisme » du parti unique,  théocraties, conversion par les armes à la « démocratie » américaine.

La phase révolutionnaire des « Printemps arabes » menée par la jeunesse arabe, même si elle est défaite pour un temps plus ou moins long, a démontré s’il le fallait que les peuples arabes ont la volonté de décider par et pour eux mêmes contre toutes les tyrannies et les intrusions étrangères obsolètes, et n’en doutant pas, même demain contre l’E.I.

Les forces tant de l’ « Occident » que de la Russie n’ont aucune légitimité à décider en lieu et place de ces peuples. Car il n’y a pas d’autre solution possible que celle du « droit des peuples à l’autodétermination », contre tout « droit d’ingérence ».

Ainsi beaucoup de questions posées par ce conflit, pourraient trouver un début de solution même si ce processus sera difficile et plein d’embûches.

Par exemple la reddition et la destitution d’Assad devra se négocier en même temps qu’il faudra garantir des droits aux minorités, comme en Syrie pour les alaouites qui pourraient ainsi être libérés de la soumission au clan Assad, et à toutes les autres minorités : chrétiens, Kurdes, Arméniens, ismaéliens, etc.

Tout comme des négociations avec la Russie, pourraient lui garantir le maintient  pacifique de son accès à la Méditerranée et la jouissance de ses investissements.

Et comme il n’y aura certainement pas de retour à l’ancienne Syrie, ni de retour à l’ancien Irak il faudra bien traiter un jour de la question des frontières et d’une éventuelle partition ou non de l’Irak et de la Syrie…

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Il n’est jamais trop tard pour prendre les bonnes décisions. Le seul rôle des deux « coalitions » serait de faire taire les armes et d’agir politiquement, si compliqué et si long que cela puisse être. Comme il est du devoir de toutes les forces de la gauche européenne de se mobiliser contre cette guerre.

10 Octobre 2015