U.S.A :

Des centaines de milliers de femmes ont marché sur Washington et ailleurs dans le monde comme en France, ce Samedi 21 janviers 2017.

Après la Pologne qui voulait légiférer pour réduire le droit à l’avortement et la très grande mobilisation des femmes pour garder ce droit, c’est au tour des Américaines de craindre une atteinte identique en raison des déclarations de Trump et de ses soutiens. En France même, ce dimanche 22 janvier 2017, il y a une manifestation « pour la vie » c’est-à-dire contre le droit des femmes à disposer de leur corps.

41 ans après la loi sur l’avortement et le combat du MLF, la droite réactionnaire, les « laissez-vivre » et autres, n’ont pas cédé d’un pouce et se sont même renforcés avec le soutien de l’église (et du « bon pape François »), multipliant les attaques contre les centres d’IVG ou en créant sur internet des sites trompeurs qui sous prétexte de parler d’avortement poussent au contraire psychologiquement les femmes à renoncer à l’interruption de grossesse.

Le danger d’une remise en cause de la loi existe avec un homme comme F. Fillon – soutenu par Sens Commun, mouvement proche de la Manif pour tous – qui a une position pour le moins ambigüe : « c'est un droit sur lequel personne ne reviendra. Philosophiquement et compte tenu de ma foi personnelle, je ne peux approuver l'avortement ».

Il faut se rappeler, cela dit, que F. Mitterrand lui-même avait en son temps chuchoté quelques doutes au moment de la reconduction de la loi ! Mais la mobilisation depuis le manifeste des 343 pour la contraception et l’avortement en mars 1971 ne cessait de s’élargir. Et la loi votée en 1975 fut reconduite 5 ans plus tard et enrichie au cours des luttes suivantes.

Comment un homme politique peut-il se revendiquer de sa foi, de ses convictions religieuses ? Nous ne sommes pas « dieu merci » dans un état théocratique mais dans un pays où le religieux reste une question privée qui ne doit pas interférer dans le politique ou le social. Alors pourquoi sont-ils toujours aussi pleutres sur ce sujet qui concerne en fait les femmes comme les hommes ?

La place des femmes dans la société est toujours un combat qu’il ne faut jamais remettre à demain. Les Polonaises et les Américaines du Nord nous disent : « prenez garde et luttez ». Il ne faut jamais abandonner. Danielle Riva

Nous publions deux déclarations faîtes lors de cette marche.

 

Angela Davis : l’Histoire ne peut s’effacer telle une page web

Militante des droits civiques Angela Davis est intervenue à la marche des femmes sur Washington le samedi 21 janvier 2017 devant une foule de plusieurs centaines de milliers de manifestantes et de manifestants réunis dans la capitale pour protester contre Trump. Angela Davis, communiste a été membre des Black Panthers, emprisonnée 22 mois et finalement acquittée. Elle est connue internationalement y compris pour avoir écrit des livres comme « Femmes, race et classe » (éditions des Femmes, 1983 réédité en 2007, Paris). Elle a fait un appel passionné pour la résistance et demandé au public de continuer à militer justice sociale au cours des quatre prochaines années de la présidence de Trump, dont voici la transcription.

« À un moment difficile de notre histoire, nous nous rappelons que nous les centaines de milliers, les millions de femmes, de transgenres, d’hommes, de femmes et de jeunes, nous qui sommes présents à la marche des femmes, nous représentons les forces puissantes du changement déterminées à empêcher les cultures morbides du racisme, de l’Hétéro-Patriarcat à se redévelopper à nouveau.
« Nous affirmons que nous sommes les acteurs de notre histoire collective et que cette histoire ne peut être effacée telle une simple page web. Nous savons que nous nous réunissons cet après-midi sur des terres qui appartenaient aux Indiens et que nous devons suivre l’exemple de ces peuples qui, tout en ayant été soumis à une violence génocidaire massive, n’ont jamais abandonné la lutte pour leur peuple, leur culture, l’eau, la terre. Nous saluons tout particulièrement aujourd'hui la présence des Indiens de la Nation Sioux du Dakota. (Ndr : Ils occupent pacifiquement un terrain depuis 2014, sur lequel devait passer un pipeline inter Canada-Usa. Le président Obama avait stoppé ce projet, mais il vient d’être rétabli par Trump).

« Les luttes pour la liberté des noirs qui ont façonné la nature même de l’histoire de ce pays ne peuvent être supprimées d’un geste de la main. Nous ne pouvons pas oublier que la vie des noirs nous importe vraiment. Ce pays est ancré dans l’esclavagisme et le colonialisme, pour le meilleur ou le pire, ce qui signifie que l’histoire des États-Unis est une histoire d’immigrés et d’esclavages. Diffuser la xénophobie, lancer des accusations de meurtre et de viol et construire des murs n’effacera pas l’histoire. Aucun être humain n’est illégal.

« La lutte pour sauver la planète, contre le changement climatique, pour garantir l’accessibilité à l’eau et des terres aux occupants Sioux du Dakota à Flint (Michigan), à la Cisjordanie et à Gaza. La lutte pour sauver la flore et la faune, pour sauver l’air - c’est un minimum de lutte pour la justice sociale.

« Il s’agit d’une marche des femmes et cette marche des femmes représente la promesse d’un féminisme contre les puissances pernicieuses et la violence d’État. Et le féminisme rassemble ceux qui veulent se joindre à la résistance au racisme, à l’islamophobie, à l’antisémitisme, la misogynie, et contre l’exploitation capitaliste.

« Oui, nous saluons le combat pour 1es 15 $ (Ndr : lutte pour relever le salaire minimum horaire qui a démarré dans la restauration et a été rejointe par beaucoup de travailleurs dans le pays avec des grèves importantes).

« Nous nous engageons à une résistance collective. Résistance contre les milliardaires profiteurs et grands bourgeois. Résistance pour les soins de santé. Résistance aux attaques contre les musulmans et les immigrants. Résistance aux attaques sur les personnes handicapées. Résistance à la violence d’État perpétuée par la police et par l’intermédiaire du complexe industriel de la prison. Résistance à la violence institutionnelle et intime entre les sexes, en particulier contre les femmes transgenres de couleur.
« Les Droits des femmes sont des droits pour toute l’humanité et la planète, et c’est pourquoi nous disons aussi liberté et justice pour la Palestine.

« Nous voulons la sortie immédiate de Chelsea Manning (Ndr : la militaire transgenre qui a transmis des informations militaires classifiées sur la guerre d’Afghanistan à Wikileaks).
« D’Oscar López Rivera (Ndr : nationaliste porto ricain condamné en 1981 à 55 ans de prison pour conspiration contre les Usa).
« Mais nous voulons également la liberté pour Leonard Peltier (Ndr : membre du mouvement indien américain, condamné à perpétuité) ; Mumia Abu-Jamal (Ndr : militant noir condamné à mort pour avoir tué un policier en 1982 et non gracié à ce jour), et Assata Shakur (Ndr : militante des Blacks Panthers et de l’Armée de Libération Noire condamnée aussi pour le meurtre d’un policier, évadée elle a reçu l’asile politique de Cuba).

« Au cours des prochains mois et des années suivantes nous serons appelés à intensifier nos revendications pour la justice sociale, à devenir plus militantes dans notre défense des populations vulnérables. Ceux qui défendent encore la suprématie du blanc mâle hétéro-patriarcat devront faire attention.

« Les prochains 1 459 jours de l’administration Trump seront 1 459 jours de résistance : résistance sur le terrain, dans les salles de classe, au travail, résistance dans l’art et la musique.

« C’est juste le commencement, comme celui des paroles de l’inimitable Ella Baker : « Nous qui croyons en la liberté nous n’aurons de repos tant qu’elle ne triomphe pas »
(Ndr :1903-1986, militante des droits civiques elle a joué un rôle important dans les organisations les plus influentes comme le NAACP, Martin Luther King's Southern Christian Leadership Conference, et “Student Nonviolent Coordinating Committee”).

Je vous remercie. »

 

La Marche des femmes sur Washington
Par
Gloria Steinem

 

« Deux grandes choses se sont passées le lendemain de l’élection de Trump. Tout d’abord, nous avons appris que Donald Trump était le deuxième homme dans l’histoire récente à gagner la Présidence malgré la perte du vote populaire. Deuxièmement, que Rebecca Shook, avocate à la retraite à Hawaï, appelait les femmes à marcher sur Washington.

Sa proposition s’est répandue comme une trainée de poudre, et sa popularité a entaché celle de Trump. Bien que l’investiture puisse attirer un grand nombre de célébrités et de personnes, il n’est prévu que 200 autobus pour transporter les partisans de Trump. Et le fait qu’un mormon allait chanter à cette occasion a donné lieu à une protestation sous forme de pétition recueillant la signature de 21000 d’entre eux. Par contre il y aura 1200 autobus pour transporter celles et ceux qui parleront, chanteront et s’opposeront à lui sur toutes les questions comme celle de la Santé, des droits égaux et de l’environnement lors de la marche des femmes sur Washington. Il y aura des marches dans plusieurs autres villes et plus de 50 villes dans le monde entier.

Bien sûr tout cela a été galvanisé par les déclarations de Trump lui-même, ses tweets, son narcissisme, sa rage contre la plus petite critique, son besoin d’être loué, même par des pays ennemis, et la nomination d’un renard à la tête de chaque poulailler dans l‘administration à Washington. Sa cote a diminué dans les sondages à un niveau moyen largement inférieur à celle de n’importe quel autre président des Etats-Unis. Nous savons qu’il est l’un des plus riches, investi de tout ce dont il a hérité de son père, mais nous savons aussi qu’il deviendra le plus populaire tout simplement s’il disparaissait.

Donc ce que je veux aborder ici, ce n’est pas seulement Trump, mais aussi les questions surprenantes que je reçois au sujet des principes organisateurs de la Marche. Je suis une militante, pas une organisatrice ou une décideuse, mais certains observateurs et journalistes me demandent pourquoi la Marche des femmes est dirigée contre le racisme et aussi le sexisme, ce qui fait que certaines femmes blanches se sentiraient exclues et coupables, et pourquoi le planning familial est l’un des organisateurs, alors que certaines femmes tout en étant contre l’avortement, sont favorables à l’égalité de rémunération et de droits avec les hommes.

Cela m’a fait réaliser que nous avons besoin d’une version, même twitter, de l’histoire du féminisme.

Donc voilà : le sexisme et le racisme sont étroitement liés et peuvent seulement être jugulés ensemble. C’est parce que le contrôle de la reproduction et donc du corps de la femme, est la seule façon de maintenir une inégalité à long terme. Oui, le racisme touche différemment les femmes. Les femmes blanches étaient susceptibles de subir une interdiction sexuelle afin de préserver la « pureté » raciale. Les femmes noires étaient susceptibles d’être exploitées sexuellement et de produire du travail bon marché.

Il n’y aura aucune liberté pour toutes les femmes aussi longtemps que le racisme persistera. Même pendant l’esclavage, lorsque tout contact entre femmes blanches et hommes noirs était un crime puni par des incendies criminels ou des meurtres, quelques femmes blanches Nordistes et quelques femmes blanches Sudistes ont rejoint Frederick Douglass et les autres abolitionnistes pour former un mouvement pour le suffrage universel.

Toutefois, les dirigeants masculins blancs ont eu peur et ils ont divisé le mouvement en donnant le droit de vote à un petit groupe d’hommes noirs tout en le limitant sous peine de lynchage. Les femmes blanches racistes ont alors fait valoir que les votes blancs « éduqués » étaient nécessaires pour contrer les voix des hommes noirs. Mais la plupart des autres, comme Sojourner Truth et Elizabeth Cady Stanton, ont essayé de préserver l’unité de la coalition. Stanton a averti : « il ne pourra y avoir de paix véritable dans cette République tant que les droits civils et politiques de tous les citoyens d’ascendance africaine et de toutes les femmes soient mis en place ».

Quand Gunnar Myrdal a effectué la première étude massive sur le racisme en Amérique il a trouvé que les lois régissant les épouses avaient été reprises et adaptées pour les esclaves, « l’analogie la plus proche et la plus naturelle » écrivait-il dans les années 1940. Il avait conclu que « le parallèle entre les femmes et les noirs est au cœur de la vérité la plus profonde de la vie américaine, car ils forment ensemble la force de travail non rémunérée ou sous-payée du pays ».

Indépendamment du racisme, le patriarcat s’efforce de dicter aux hommes, une foi patriarcale en leur disant que le sexe est immoral à moins qu’il ne mène à la reproduction, alors que les rôles inventés du genre divisent notre humanité partagée.

Nous ne pouvons pas décider de nos vies.

La liberté de reproduction est l’indicateur le plus important pour connaître la place des femmes dans une société, tout comme la mesure de la pauvreté, de l’instruction, du travail à l’extérieur ou au foyer, et le temps moyen de vie.

Cette courte histoire, façon twitter, est toujours d’actualité. Par exemple 53% des femmes blanches mariées ont voté pour Trump, le plus sexiste de toute l’histoire des présidentielles. Nous devons nous demander alors : sont-elles tributaires du revenu de l’homme et soumises à l’approbation du mâle qui colonise leur esprit ? Où est-ce qu’Hillary Clinton leur a douloureusement rappelé ce qu’elles pourraient devenir en tant que femmes ?

95% des femmes noires ont voté pour Clinton, alors nous devons aussi nous demander : la réalité vécue du racisme et du sexisme nous rend-elle deux fois plus sages ? Est-il nécessaire de créer une force ?

Nous devons comprendre tout cela, mais une chose est claire : nous avons une grande dette de gratitude envers ces femmes jeunes et diverses qui ont interrompu leur vie pour organiser cette Marche à l’énergie contagieuse, une Marche fondée sur l’idée simple que nous sommes d’abord des êtres humains, avant d’être des classes. J’écris ceci au moment même où les journaux rapportent que la question de l’avortement sera « la question » de l’unité de la Marche des femmes. En fait ce n’est pas l’avortement qui posera question à l’unité de la Marche, mais les forces religieuses ou politiques qui nieraient aux femmes ou aux hommes, leur intégrité physique.

Après tout, l’espoir est une forme de planification, car si nous n’avons pas d’espoir que serions-nous ? »

Ecrivaine et féministe.