Tony Cartalucci, chercheur et écrivain, notamment pour le magazine « nouvelle perspective orientale » où article a été publié.
Retour de la guerre en Libye, autour de Tripoli.
Les forces sous le contrôle de Khalifa Haftar – un ancien général libyen sous le gouvernement de Mouammar Kadhafi qui avait rejoint l’opposition au cours de l’intervention de l’OTAN dirigée par
les États-Unis en 2011 et qui maintenant s’oppose au « gouvernement d’entente nationale » (GNA), soutenu par l’ONU dont le siège est à Tripoli – ont récemment atteint l’aéroport de Tripoli.
Le chaos qui existe en Libye depuis 2011 n’est pas vraiment une surprise. C’est le résultat prévisible qui suit toute intervention politique ou militaire dirigée par les États-Unis. Il faut savoir comment la politique américaine du « changement de régime » a sévi en Afghanistan, en Irak et en Ukraine.
Et tout comme pour Afghanistan, l’Irak et l’Ukraine – la presse occidentale omet régulièrement la Libye dans ses éditoriaux pour masquer les conséquences prévisibles de cette politique du « changement de régime » voulue par les États-Unis et qui s’étend contre des nations comme le Venezuela, la Syrie et l’Iran.
La Libye comme champ de bataille
En 2011, la Libye, nation d’Afrique du Nord, s’est transformée d’une nation prospère et en voie de développement, en un champ de bataille permanent, divisé, où les seigneurs de guerre locaux, soutenus par de sponsors et des intérêts étrangers opposés, rivalisent pour prendre le pouvoir.
L’état actuel de la Libye est un échec flagrant, dont la responsabilité est entièrement due à l’intervention de l’OTAN dirigée par les États-Unis en 2011.
L’intervention des États-Unis et de leurs alliés de l’OTAN fondée sur des mensonges promus par des organismes des « droits de l’homme » financés par l’Ouest, sous le prétexte de la R2P (responsabilité de protéger), a démembré la Libye, la conduisant au chaos perpétuel qui touche non seulement la Libye elle-même, mais l’Afrique du Nord, l’Europe du Sud et même le Moyen-Orient.
La guerre a immédiatement déclenché non seulement une vague de réfugiés fuyant la guerre elle-même, mais des réfugiés en provenance d’Afrique, qui cherchaient un travail en Libye, ont dû pour cela, à la place, traverser la Méditerranée pour arriver en Europe.
Les combattants qui se retrouvaient aux côtés des États-Unis en 2011 seront armés et redéployés en Turquie d’où ils sont entrés en Syrie et ont joué un rôle clé dans la prise des villes d’Idlib et d’Alep pendant les premières phases de cette guerre par procuration menée par les États-Unis.
Actuellement, la Libye est divisée entre le gouvernement soutenu par l’ONU basé à Tripoli, les forces loyales à Haftar basées à l’Est, et un mélange d’autres forces opérant à travers le pays, ayant divers degrés de contrôle sur les autres grandes villes de la Libye et également des degrés variés de loyauté envers le gouvernement soutenue par l’ONU, les forces de Haftar ou les autres factions.
Les combats autour de Tripoli auraient même poussé les forces militaires américaines stationnées en Libye à évacuer temporairement leur base. CNBC dans son article, « Les Usa retirent des forces de Libye alors que les combats se rapprochent de la capitale », signale :
« Les États-Unis ont retiré temporairement certaines de leurs forces de Libye en raison des « conditions de sécurité sur le terrain », a déclaré dimanche un haut responsable militaire, alors que les forces d’un commandant libyen avançaient vers la capitale de Tripoli et se heurtaient à des milices rivales.
Les Forces Spéciales US secrètes sont en Libye depuis plusieurs mois. Ces dernières années, un petit contingent de troupes américaines s’est rendu en Libye pour aider les forces locales à combattre le groupe État islamique et les militants d’Al-Qaïda, ainsi que pour protéger les installations diplomatiques. »
La présence d’un petit contingent américain en Libye pouvait être une nouveauté pour certains – et n’était qu’un rêve au sein du Pentagone - jusqu’à l’intervention de l’OTAN menée par les États-Unis en 2011 qui a finalement renversé le gouvernement libyen.
La politique étrangère de l’Amérique du pyromane-pompier a été mise en place en Afrique grâce à une présence de plus en plus importante, pour un ambitieux projet géopolitique bien au-delà du continent.
L’empreinte croissante des Usa sur l’Afrique
Le conflit libyen - avec les armes fournies par des commanditaires étrangers - a permis un terrorisme régional qui impacte les voisins, l’Egypte, la Tunisie, l’Algérie, le Niger et le Tchad, à l’ouest le Mali et le Nigeria, et au sud-est dans une certaine mesure le Kenya. La guerre a été une aubaine pour l’Africa Command US (AFRICOM) qui a utilisé le chaos qui en résulte comme prétexte pour affirmer l’empreinte militaire de Washington sur le continent.
En 2018, un article intitulé, « Un militaire s déclare que la présence des Usa est légère en Afrique. Or les documents montrent un vaste réseau de Bases », signale que :
« D’après un exposé d’AFRICOM en 2018, du conseiller scientifique Peter E. Teil, les bases militaires comprennent 34 sites dispersés à travers le continent, avec des concentrations élevées dans le Nord et l’Ouest ainsi que dans la corne de l’Afrique. Ces régions, ont également été l’objet de nombreuses attaques de drones américains et des raids discrets de commandos ces dernières années. »
L’article note qu’une grande partie de l’expansion de l’AFRICOM en Afrique a eu lieu durant cette dernière décennie.
Alors que le prétexte à l’expansion militaire américain en Afrique est la lutte « contre le terrorisme, » il est clair que les forces armées américaines sont là pour protéger les intérêts des Etats-Unis et surtout pour justifier le projet de Washington de militarisation du continent.
Une grande partie du terrorisme que les États-Unis prétendent combattre, n’a été rendu possible que par l’inondation d’armes, d’équipement et de soutiens fournis par les États-Unis et ses partenaires aux combattants dans le cadre des opérations « de changement de régime » ciblant des pays comme la Libye.
La guerre menée par les Etats-Unis et l’OTAN en Libye est un parfait exemple de la politique menée :
- Armement des organisations terroristes, y compris celles classées comme telles par le département d’Etat américain lui-même
- Renversement d’une nation,
- Déstabilisation prévisible de l’ensemble de la région,
- Prendre le prétexte de cette instabilité pour développer massivement la présence militaire américaine.
En fait l’ordre du jour réel, c’est la volonté de Washington de contrer les intérêts russes et chinois sur le continent, pour que les Usa puissent ainsi régner sans partage.
Les « Fruits » du « changement de régime » voulu par les Usa et l’Otan
Alors que l’OTAN célèbre son 70e anniversaire, son Secrétaire général Jens Stoltenberg a déclaré :
« Depuis plus de sept décennies, l’OTAN a intensifié à maintes reprises ses interventions pour assurer la sécurité de notre peuple, et nous allons continuer à nous serrer les coudes pour la prévention des conflits et de maintien de la paix. »
Cette « paix », comprend 8 ans de violents combats en Libye suite à l’intervention de l’OTAN.
Le Secrétaire général de l’OTAN présente la mission de l’OTAN comme une « prévention des conflits et de maintien de la paix » mais il a paradoxalement et très intentionnellement conçu la guerre en Libye, renversé le gouvernement de Tripoli et déclenché le chaos régional qui ne touche pas que l’Afrique du Nord mais aussi l’Europe avec les réfugiés qui fuient le conflit.
L’Europe est l’un des rares endroits où l’OTAN pouvait prétendre, en théorie, revendiquer un mandat pour la protéger ou y mener des opérations. Mais les guerres que l’Otan conduit à l’étranger ont directement compromis la sécurité européenne.
Le blackout des médias sur le véritable impact de l’intervention de l’OTAN en Libye pour ces 8 dernières années contribue à autoriser les Etats-Unis et ses partenaires de l’OTAN à perpétrer des guerres supplémentaires et des interventions politiques par procuration partout ailleurs.
Au moment où les États-Unis s’orientent vers un «changement de régime » agressif au Venezuela, et interviennent dans la politique intérieure des nations dans toute l’Asie, il faut toujours garder à l’esprit les « fruits » de l’intervention américaine dans des pays comme la Libye.
Ce qui est le plus alarmant, c’est de considérer que l’intervention menée par les États-Unis en Libye n’est pas nécessairement un échec. Ce n’est un échec que si l’on croit que les États-Unis cherchent vraiment un avenir meilleur pour la nation. Cependant, si les « fruits » du chaos perpétuel, prétexte tout aussi perpétuel pour justifier la militarisation américaine de l’Afrique, ont été intentionnellement mis en œuvre dès le début – alors à bien des égards – la Libye est un succès retentissant.
La manière dont les combats actuels autour de Tripoli se déroulent, si une Libye unifiée en émerge ou non, et que deviendra ensuite la présence militaire étrangère et les intérêts économiques présents sur le sol libyen, mettra en évidence la nature du succès de Washington en Libye, et en Afrique.
Avril 2019